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Despo – Convictions suicidaires : « Certitudes autodestructrices »

Il existe des albums de rap qui marquent par leur qualité, par la personnalité de leur auteur, par leur complexité ou évidemment par leur contenu subversif. S’il en est un qui regroupe tout cela, c’est bien « Convictions suicidaires » de Despo. Retour sur un album hors du commun.

Le fait de vouloir tout mettre dans des cases est une chose totalement typique de notre pays. Cela s’applique également au rap. Les « spécialistes » de hiphop hexagonal ont donc inventé des catégories comme le « rap de rue », le « rap conscient » ou encore le « rap commercial ». Le rappeur qui fait l’objet de cet article ne rentre dans aucune de ces cases: Despo Rutti, Despo Roots ou encore Majster (selon les époques) est une catégorie à lui seul.

L’homme de Pavillon sous Bois rappe en dehors des sentiers battus. Déjà, avec son premier succès et le titre « Arrêtez » qui apparaissait sur la compilation « Hostile 2006 », il sautait aux yeux que nous avions affaire à un rappeur différent.

Son premier album solo « Les sirènes du charbon » sorti en 2006 venait confirmer cette impression. Dans sa manière de poser, Despo ne fait pas comme les autres. Il ne cherche à copier personne et personne ne peut le copier. Le flow ne s’embarrasse pas de tentatives techniques et Despo peut même apparaitre hors temps. Le but est de faire passer ses messages hardcores et sans concession de la manière la plus audible possible.

Son deuxième album « Convictions suicidaires » paru en 2010 est dans la continuité mais la qualité est encore au dessus de l’opus précédent. En effet, puisqu’il a obtenu la reconnaissance du milieu et qu’il est désormais installé dans le paysage, il peut se permettre d’être encore plus « Trashhh » et de lâcher les chevaux.

« Si la vérité blesse, c’est pas une bouche que j’ai, c’est un schlass… »

Trashhh

Pascal, de son vrai prénom aime la controverse et en distille à foison tout au long des 14 morceaux. Et chacun en prend pour son grade car il n’épargne personne. Il balance ses vérités sur tous les sujets imaginables sans prendre de pincettes. Chaque caste de l’humanité a le droit à sa punchline ravageuse. Il peut à la fois défendre les intérêts de ses semblables vivant en banlieue et les traiter d’incapables, clamer sa foi et cracher sur les religieux, revendiquer fort ses racines africaines et insulter ses dirigeants. Du coup, avec lui c’est du « Quitte ou double ». Et comme il le dit si bien lui même, il a bien conscience que chaque punchline acérée peut froisser les susceptibilités et lui faire perdre un auditeur à chaque phase. Mais il est évident que cela lui importe peu.

« …A chaque punchline, je perds un fan… »

Convictions suicidaires

L’ambiance sonore fournie pas les prods de Jo le Balafré, Street Fabulous, Therapy 2093 ou encore DJ Boudj forme l’ambiance pesante, presque solennelle de ce projet! L’avocat du diable profite donc de ce sombre climat musical pour y déverser ses convictions suicidaires qui seraient innenregistrables pour le commun des mortels. Il y plaide la légitime défense et au final, on a presque envie de lui accorder sa rédemption.

Bien sur, il serait réducteur de cantonner le Zaïrois à un statut de « provocateur punchlineur ». Despo possède une écriture subtile. Les degrés d’interprétation de ses couplets sont multiples et chaque texte demande de prendre un peu de recul et d’être réécouter afin d’en saisir toutes les nuances.

Il se montre capable de glisser des références variées, de parler de ses blessures personnelles, de se montrer engagé, ou de parler de faits de société comme le racisme ( « L’œil aux beurs noirs »). Et sa conception du rap est aussi complexe que sa personnalité. Le rappeur du 9-3 a l’air aussi certain de ses forces que fragile. « Convictions suicidaires » peut alors apparaitre comme un brulot destiné à foutre le feu dans le cerveau de chaque personne qui y prêterait l’oreille alors que celui ci pourrait en fait être une immense lettre d’appel au secours à la façon d’un suicidaire.

Car oui, Despo fait du rap pour en vivre. Et pourtant, il sait pertinemment que ses morceaux et ce qu’ils contiennent sont clivants, ne feront jamais l’unanimité et ne lui permettront pas d’obtenir de gros scores de ventes. Il rappe aussi pour se confesser et vider son sac mais paradoxalement, il est au courant que ses pensées personnelles n’auront pas l’adhésion du grand public et pourraient même probablement provoquer un rejet de la majorité.

Mais, il sort quand même cet album car il est avant tout un homme sincère qui n’a pas honte de mettre en musique ses contradictions, n’a pas peur du jugement, si ce n’est le divin, et qui fonctionne au feeling, laissant toutes formes de calculs sur le bord du chemin qu’il trace.

Instinctif est peut être au final l’adjectif qui résume le mieux ce classique qu’est « Convictions suicidaires » ce qui en fait un album qui ne ressemblait à aucun autre et auquel aucun autre ne ressemblera. Simultanément violent, touchant, introspectif, polémique et contestataire, cet album est bel et bien le dernier recueil de poèmes urbains à atteindre un tel niveau.

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