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INTERVIEW : Maj Trafyk

Parmi nos sorties coup de cœur de 2021, on peut trouver « Advienne que Pera », le dernier album de Maj Trafyk, disponible depuis le 9 Avril. Malgré plus de 20ans de carrière, le rappeur reste encore inconnu du grand public.

Pour cette raison, nous avons décidé de nous entretenir avec ce passionné de rap afin de discuter de lui, de sa carrière, de sa musique et bien sûr de « Advienne que Pera » !

Ignr: Salut ! Est ce que tu pourrais te présenter rapidement?

MT: Maj Trafyk, artiste rap entre autres, actif depuis la fin des années 90… Originaire de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe.

Ignr: Je crois savoir que tu as commencé le rap aux Antilles d’ailleurs! Comment t’es-tu dirigé vers le rap alors que c’est plus le reggae, le Ragga ou même le zouk qui étaient les plus répandus là-bas dans les années 90?

MT: J’ai effectivement été touché dans un premier temps par des artistes comme Shabba Ranks en 90, mais j’ai eu le coup de foudre pour le rap ! Je pense que ça correspondait plus à ma personnalité et mon état d’esprit. Alors bien-sûr, Public Enemy, NWA et d’autres m’ont définitivement orienté sur le rap. Et en 91, en écoutant Assassin et notamment Rockin’ Squat pour la première fois, j’ai su que je ferai du rap français…

J’étais très sensible aux textes et à l’univers !

Ignr: T’es un vrai passionné de rap, on le sait! Est-ce que quand tu débarques en métropole, c’est dans le but d’y faire carrière, ou tu as juste saisi les opportunités pour continuer à pratiquer ta passion?

MT: Pour la faire courte, j’ai tout plaqué pour le rap, interrompu mes études, quitté ma famille, mes proches et tous mes repères pour faire du son à 8000 kms de chez moi sur Paris, en 2001, et j’y suis encore aujourd’hui

Ignr: Et du coup, tu as fait les bonnes rencontres ou tu as galéré dur?

MT: Un peu des deux en fait ! J’étais déjà venu en 98 et 99 pour un petit peu me faire des connexions et j’ai rencontré notamment Jmdee qui produisait pour Disiz à l’époque. Quand je suis revenu en 2001, j’ai tout de suite signé dans son label indé « Gaz Dem All ». On a sorti un maxi en 2002, ça se passait très bien. J’ai fait beaucoup de radio, quelques scènes, mais disons que globalement je me suis vite rendu compte que je devais revoir mes ambitions à la baisse car j’ai toujours refusé de faire du Mainstream. Et donc forcément j’étais condamné à être suivi que par des initiés.

Mais pour répondre à ta question, on va dire que ça a été très très galère. J’ai même eu une période où ça squattait à droite et à gauche, le temps de me structurer et de me poser quelque part sur Panam’.

Ignr: Tu parles justement du mainstream! On sent que tu veux garder une vraie authenticité dans ta musique et même un côté old school ! Tu écoutes un peu ce qui se fait aujourd’hui chez les jeunes artistes ?

MT: En fait à la base, je suis quelqu’un de très ouvert musicalement. Je pourrais prendre beaucoup de plaisir à poser sur de la Trap, de la Drill, en mode DanceHall, en mode rap, en mode chant. Mais ce n’est pas simplement une question d’authenticité, c’est juste tout bêtement que le rap de mon époque, aux influences new-yorkaises, c’ est ce qui me fait le plus vibrer ! Donc l’authenticité c’est sur ce point-là : c’est faire des choses qui me font vibrer et pour l’instant ce qui me fait vibrer, c’est le rap de mon époque ! Cela dit, je suis complètement conquis par des artistes tels que Freeze Corleone ou Hamza par exemple !

Il n’est pas du tout impossible que je débarque avec un projet Drill par exemple ! Je suis assez imprévisible à ce niveau-là, je suis un petit peu mes humeurs artistiques…

Ignr: Tu as sorti plusieurs albums et on retrouve souvent un producteur majoritaire voir unique sur tes projets! C’est pour donner une couleur et une homogénéité à ces albums ?

MT: Oui c’est exactement ça ! Je me souviens qu’à l’époque je prenais des prods à droite à gauche, de différents producteurs sans me soucier d’amener un univers en particulier. Mais au fil des expériences, je me suis rendu compte qu’il était important de ramener un produit cohérent et la meilleure façon pour moi de proposer quelque chose de cohérent, c’est de travailler avec un producteur unique ou majoritaire par projet.

Ignr: D’ailleurs sur « Advienne que Pera », le dernier album en date, on retrouve Kyo Itachi. Comment s’est passée votre connexion ?

MT: En fait Kyo est venu vers moi en 2001. Il m’a redécouvert grâce à Azaia qui lui avait conseillé de s’intéresser à mon travail. Kyo s’est rendu compte plus tard qu’il me connaissait déjà sous le nom de Trafyk Jam quand j’étais actif aux Antilles en Martinique notamment en 97. Du coup on avait pas mal échangé sur la possibilité de collaborer mais comme je venais de commencer un travail sur l’album « Petite prophétie » avec Alsoprodby, je lui ai proposé qu’on reporte le projet à plus tard. Et c’est finalement en 2018 (à un moment où comme ça m’arrive régulièrement) j’ai voulu arrêter le rap en tant que tel et évoluer sur une musique autre, que Kyo a réactivé ma passion. Il y a un élément déterminant qui nous a rapproché : c’est la perte de sa mère et la perte de mon père. Humainement on avait ça en commun et ça a été je pense l’un des carburants de « Advienne que Pera » !

Ignr: Il y a un univers particulier à ton dernier album! Est-ce que c’est quelque chose que vous avez défini ensemble ?

MT: Alors…il a fallu qu’on parte sur une première prod test qui a lancé le projet. C’est la prod de « Ours polaire » avec Seth Gueko. Kyo m’a proposé spontanément cette prod qui n’était pas forcément dans mon style habituel et j’ai décidé d’aller au-delà de mes goûts de base. J’ai été satisfait après-coup. Concernant les autres choix de prods, ça s’est fait au feeling. On a essayé de définir un concept précis genre tout un album avec des guitares électriques ou d’autres concepts dont je ne me souviens plus mais au final ça a été un feeling. Je lui ai aussi proposé une façon de travailler qui était assez inhabituelle pour lui sur certains titres. Je lui envoyais des samples que j’avais repéré et qui collaient à mon univers et de cette façon il avait le loisir d’interpréter à sa façon avec ses sonorités sales que j’affectionne.

Ignr: La cover incroyable contribue aussi à cet univers? Il y a un concept derrière ou c’est juste un gros kif ?

MT: La Cover est une des valeurs ajoutées que Kyo m’a ramené. Ce dernier a l’habitude de sortir beaucoup de projets illustrés et il a travaillé avec beaucoup d’illustrateurs notamment Jilva The Maker, dont l’œuvre globale m’a particulièrement impressionné. Jilva étant un passionné de rap,en plus d’être un génie de l’illustration, je lui ai envoyé la première moitié des titres de l’album que j’avais déjà enregistré et il semblerait que ça lui ai parlé de fou… Kyo et moi avions envie de partir sur une thématique « Mythologie des Dieux Grecs » et à partir de cette thématique et de mon univers Lyrical, Jilva a créé ce bordel incroyable!

Ignr: La liste des invités est dingue également! On y retrouve bcp d’artistes de l’ancienne école qui se font très très rares pour certains ? Ce sont tous des connaissances de longue date ?

MT: Cette liste d’invités légendaires n’était pas forcément préméditée en réalité mais je me suis dit que vu que j’avais été très avare sur mes albums solo précédents en terme de featurings, je voulais marquer le coup et appeler des artistes légendaires de ma génération. Tous les artistes de l’album sont des proches exceptés Seth Gueko que j’ai connecté pour l’occasion et Evidence évidemment avec qui j’avais eu quelques échanges sur les réseaux sociaux ces dernières années a propos de la photographie qui semble être une passion que nous avons en commun. Il faut savoir que Kyo m’avait confié vouloir produire beaucoup d’artistes rap français ayant déjà fait leur trou dans l’underground américain et donc je me suis dit qu’on pouvait faire d’une pierre deux coups. D’ailleurs sur l’album solo de Kyo à venir,  j’ai été le premier artiste à avoir posé un couplet et comme je venais de relancer la machine écriture rap depuis peu, je ne me sentais pas de faire en solo tout de suite. J’ai donc proposé à Kyo de lui ramener les X-Men, sachant le plaisir qu’il aurait de bosser avec eux. Ça a donné le titre « Mensonges et Make-up » qui est le 1er single de l’album « solide » de Kyo.

En fait ,  je disais souvent à Kyo pendant la conception de l’album, «  je suis en train de faire mon premier album collaboratif dans tous les sens du terme beaucoup de featurings »!!

Ignr: Il y a des artistes que tu aurais voulu avoir sur l’album et qui n’y sont pas?

MT: Pour la petite histoire je voulais inviter lino, Oxmo Puccino et AKH mais ça aurait fait beaucoup trop de feats. J’ai aussi tenté avec Lino que je ne connais pas personnellement mais malgré nos échanges cordiaux, la collaboration ne s’est pas faite du coup ce sera pour un autre projet j’espère…

Sinon, j’ai eu un seul refus franc et cordial, c’est Ali (ex Lunatic).

Je pense que son refus relève d’une question spirituelle. En effet, je suis sur un concept de la mythologie grecque polythéiste et Ali, de par sa conception personnelle ne pouvait à mon avis pas participer à ce projet mais ce n’est que mon avis.

Ignr: Bon et si on parle juste de toi, comment tu définirais ton style? Et comment tu vendrais cet album à quelqu’un qui ne te connaît pas encore ?

MT: Alors : essayer d’expliquer et de définir mon style n’est pas un exercice très facile pour moi. Mais je pense qu’avec les années c’est quelque chose d’assez identifiable, j’ai un amour pour le rap à texte imagé, poétique, sombre, mélodieux, cru. Il faut qu’il y ait de l’émotion quel qu’elle soit. Je pense être aujourd’hui un des seuls représentants du rap de mon époque qui assume plus ou moins bien de ne pas être dans la hype. Je souhaite que le rap aux influences new-yorkaises, qui représentent la meilleure époque du rap selon moi soit quelque chose de précieux aujourd’hui et même de luxueux. Le rap Boombap new-yorkais est un produit de luxe pour moi et je trouve que Griselda qui a beaucoup aidé à relancer la base du rap actuellement, incarne très très bien ce concept. Le rap Boombap aujourd’hui étant minoritaire dans l’industrie, il a pour moi plus de valeur encore ! Je suis un de ses soldats !

J’envoie d’ailleurs une grosse dédicace à des mecs comme Sameer Ahmad, Joe Lucazz, et plus récemment Benjamin EPPS et aux autres soldats bien sûr. Là, je donne trois exemples de rappeurs qui me parlent particulièrement parmi tant d’autres !

Ignr: A cause du covid, il n’y a plus de concerts! Ça te manque de ne pas pouvoir défendre ce projet sur scène ?

MT: En fait malheureusement même avant le Covid, étant donné que ces 10 dernières années j’ai plutôt privilégié ma vie de famille que le rap, j’avais déjà perdu l’habitude de faire des concerts régulièrement. Du coup, je ne pense pas que ça soit un manque que je ressens mais ce serait mortel que tout ce bordel redémarre effectivement ! Il est important de défendre des albums sur scène, c’est la base !

Ignr: Sans se focaliser sur les chiffres, est ce que le travail fourni est récompensé?

MT: Concernant le physique, les choses sont très simples. J’ai fabriqué des séries limitées collector : 300 Vinyles, 500 CD et 70 cassettes. À l’heure où je te parle évidemment les cassettes sont en rupture de stock, les Vinyles sont à deux doigts de l’être et le CD c’est cool. Je suis très satisfait puisque déjà remboursé de mon investissement et le streaming venant compléter tout cela, je me sens déjà récompensé.

Mais au-delà des chiffres effectivement, tous les retours qui me sont faits sont la meilleure monnaie du monde. Depuis la sortie de cet album beaucoup beaucoup beaucoup de gens nous remercient, Kyo et moi ! Il me disait récemment qu’il n’avait jamais eu autant de remerciements individuels à la suite d’un projet donc ça c’est une grande satisfaction pour moi. Je pense qu’on a fait du bien à beaucoup de monde avec cet album.

Donc, rien que pour ça, j’ai envie de continuer !

Ignr: Et du coup, c’est quoi la suite? Un nouvel album à venir ?

MT: Oui je suis déjà sur deux ou trois albums en même temps d’ailleurs, différents concepts!!

Ignr: un grand merci à toi! Un p’tit mot pour la fin?

MT: Déjà, merci à vous « IntergénéRAPtions » qui avez comme quelques autres médias beaucoup contribué à faire découvrir mon dernier album sur les réseaux. Je remercie le frérot Kyo Itachi qui a su réveiller Zeus…  Je remercie mon frère Madajack avec qui j’ai enregistré cet album. Tous les featurings, Seth Gueko, Rockin’ Squat, Rocca, Fdy, et Eben, Les X-Men, Mali, Fuckly, Forsay, Evidence qui m’a fait l’honneur d’être je pense le premier français à collaborer avec lui.

Lumière et love sur vous ⚡️

Merci à Jilva The Maker et Jonathan Fourel (Ingé)et j’envoie une dédicace vers l’au-delà à mon père ainsi qu’à Dj Duke avec qui je m’entendais beaucoup et avec qui j’avais pas mal de projets sur le feu … voilà du love à tous ceux qui se sont procurés l’album ou qui le feront !

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