Toujours aussi prolifique, le rappeur Lucio Bukowski vient de sortir le 14 avril, un nouvel opus intitulé Et le prestidigitateur ivre manqua son tour. Un album, entièrement produit par Lionel Soulchildren, au nom mystérieux évoquant la poésie désabusée qu’il contient. Chronique d’un album beau à tous points de vue.
Prenez un rappeur actif depuis plus de 10 ans et doté d’une plume incroyable. Ajoutez-y un beatmaker qui n’a plus rien à prouver et qui possède un univers musical qui lui est propre. Enveloppez le tout d’une énorme couche de poésie. Une fois le tout mélangé, vous obtenez Et le prestidigitateur ivre manqua son tour de Lucio Bukowski. Un 12 titres dans lequel la poésie côtoie la mélancolie dans une ambiance onirique. Le tout porté par la musicalité magique des beats de Lionel Soulchildren.
Ivresse de poésie
Lucio Bukowski est un artiste complet. Sa page wikipédia le définit en effet comme beatmaker, compositeur, rappeur et poète. Sur ce nouvel opus, ce sont les 2 dernières définitions qui reflètent le mieux les prestations de l’artiste lyonnais. Ses couplets regorgent de mots savamment choisis. Le vocabulaire choisi n’est pas celui que l’on peut avoir l’habitude d’entendre au sein du microcosme rap. Si l’on veut dire les termes, son écriture est bien au-dessus de la moyenne. On est finalement plus proche, du moins lyricalement, de la poésie et de la littérature que d’autre chose. « Plus proche de Clouscard que de Bambaataa » comme il se plait à le dire lui-même. Même si cela n’empêche pas Lucio de balancer quelques phases et mots fleuris qui sentent bon la rue.
Mais si l’enveloppe est poétique, le fond reste lui conscient, intelligent, voire même engagé. Armé de son flow académique et de sa technique sûre, le membre de L’Animalerie, livre donc avec poésie un constat froid et désabusé sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Un rap qu’il dépeint lui-même comme du « rap d’adulte ». A titre de comparaison, si l’on doit trouver un album récent se rapprochant de celui de Lucio Bukowski, on citerait META de Sako et Cehashi. Un mix entre rap et poésie triste mais lucide.
Musique, magie des notes et univers onirique
Un album collaboratif entre un MC et un beatmaker, comme celui dont on parle, doit refléter l’alchimie entre le rappeur et le producteur. Et le prestidigitateur ivre manqua son tour est l’illustration parfaite que Lucio Bukowski et Lionel Soulchildren sont sur la même longueur d’onde. En effet, ce dernier vient, avec ses productions soignées, magnifier le travail d’écriture et le rap de son partenaire. Un travail d’orfèvre qui témoigne de la complicité entre les deux artistes. On est loin d’un basique beat envoyé par un beatmaker au rappeur afin que celui-ci n’ai plus qu’à poser sa voix dessus. Au contraire, il est palpable que chaque morceau a été travaillé à deux autour d’un thème bien défini.
L’ex-membre du duo Soulchildren, a su retranscrire à merveille l’atmosphère entre magie et onirisme qui ressort des textes du rappeur lyonnais. A moins que ce ne soit l’inverse ? Toujours est-il que cette collaboration donne naissance à un des plus beaux albums de rap de ces dernières années. Un opus dans lequel flotte un parfum de magie et de rêve paradoxalement ancré dans une réalité plus rude. Des mots qui cognent sur une musique qui vous transporte. C’est bel et bien un film auditif que les deux protagonistes nous ont fourni. Le soin a même été pris de laisser deux plages d’expression solo au beatmaker. Des interludes qui permettent d’admirer pleinement la beauté de ses productions.
Une vraie D.A
A l’heure où le terme de « direction artistique » est utilisé à tort et à travers par les amateurs de rap sur les réseaux sociaux, on a ici à faire à un album doté d’une vraie lettre de route. Tout, dans cet opus, respire la cohérence. Musicalement déjà, puisqu’un seul beatmaker assure les productions. Que ce soit dans les thèmes abordés par le rappeur ou l’ordre choisi pour les morceaux, tout semble également mûrement réfléchi.
« Pas b’soin d’bande-annonce pour savoir qu’c’est du déjà-vu; leur liqueur bas d’gamme, c’est du déjà bu ! Loin des majors et des bars à putes, comme R-O-C-E, j’fais du rap adulte ! »
« Animal Forever »
Les morceaux placés au milieu du projet, « Horde sauvage » et « Running backs » viennent mettre un petit coup de fouet à l’album. On y retrouve dessus quelques-uns des invités de l’album, Nedelko, Double A, Casus Belli et ARM. Les autres featurings sont Eddy Woogy (« Taxon Mort ») et son compère de l’Animalerie, Anton Serra (« Jusqu’à tard dans la nuit »). Même sur le choix des invités, la cohérence est de mise et aucun d’eux ne fait baisser le niveau général de l’opus. Et que dire de cette magnifique pochette signée Astrid Bachoux. Cette peinture représente parfaitement le nom de l’album et ajoute encore du crédit au statut d’œuvre d’art que l’on a envie d’attribuer à ELPIMST.
C’est un album mature, du « rap d’adulte » comme il aime le dire, que le rappeur de l’Animalerie nous délivre ici. Un projet loin du rap fast food et vide de sens que l’industrie nous sert un peu trop souvent en ce moment. Au final, que ce soient ses suiveurs de la première heure ou de nouveaux auditeurs, Lucio Bukowski saura séduire tout le monde avec Et le prestidigitateur ivre manqua son tour. Il n’y a qu’un seul point sur lequel nous ne sommes pas d’accord avec le rappeur lyonnais. Pour nous, avec cet album, ce magicien a bel et bien réussi son tour de magie. Sans fausses notes.