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5 Joyaux Perdus de l’année 2015

L’année 2015 a été celle de l’intronisation de nombreuses superstars du rap français. Elle a été saluée de toutes parts, marquant pour beaucoup et sûrement à raison l’acte de naissance d’un nouvel âge d’or. Cependant, devant autant de grosses sorties perceptibles comme de véritables blockbusters, des albums passent forcément sous les radars. Aujourd’hui, INGR vous propose d’en découvrir cinq. Cinq projets représentant trois aspects de cette époque charnière qui deviendront, potentiellement, vos nouvelles références de l’année la plus bénie de ces dernières années.

Ancienne garde :

10versDe fil en aiguille

Pour une musique qui sort autant des tripes que le rap, la hargne laisse souvent au fil du temps sa place à l’expérience. Dans le cas de 10vers, l’expérience est bien là, mais n’a pas remplacé la rage. De fil en aiguille porte si bien son nom que c’est à se demander si son auteur a conscience du nombre d’interprétations possibles. Du point de vue de sa carrière musicale c’est frappant.

Pochette De fil en aiguille, du rappeur toulousain 10vers

En effet des scènes toulousaines jusqu’à Inglorious Bastardz pour arriver à ce disque les aiguilles ont bien travaillé. Car ce qui frappe, c’est la maturation du style. Amateur de multisyllabique qui sonne sans même qu’on s’en rende compte, 10vers ne varie pas spécialement les rythmiques, mais gère le flux. Il place ses silences, prolonge ses phases, faisant ressortir le son de son texte. Et bien que le disque semble sortir pile l’année du chant du cygne de son registre, les productions parviennent à l’épique et figurent potentiellement parmi les meilleurs de leurs auteurs. Notamment « Toxine » et « Fonka ». 10vers crochète sa vie. Et si la diversité ne vous frappe déjà pas à travers ses mots, les invités se chargeront de la faire ressortir.

La Gale – Salem City Rockers

Quand on rêve de connexion internationale, la connexion Lausanne x Toulouse ne vient pas nécessairement en tête. Pourtant, un des plus grands disques de cette année riche en grands disques de rap, provient d’un triumvirat infernal : La Gale, Al’tarba et I.N.C.H. Si les résidences sont contre-intuitives au premier abord, on remarque rapidement que la collaboration est diablement cohérente. La rappeuse et les deux producteurs/rappeurs ont maints points communs dont un amour pour un rap poisseux, riche et fourni ainsi qu’une énergie punk qui fait frémir à l’idée de voir cela sur scène.

Cover de Salem City Rockers, de La Gale

Marque d’album immanquable, tout passe par le titre, que cela soit l’aura néfaste à travers le nom de Salem ou l’énergie punk à travers le Rockers. Ne vous attendez cependant pas à un album linéaire. Celui-ci transpire l’ironie sur certains aspects notamment la perception des autres sur la supposée sorcellerie de nos trois juges infernaux. La Gale est amatrice de la rime qui tombe juste, en fin de phase, martelée, d’autant plus impactante que ce qu’elle raconte fournit le même impact que les allitérations dont elle est capable. Tout cela magnifié par le travail des deux producteurs, s’invitant le temps d’un couplet sur un des titres les plus grisants de l’album. Brut et subtile, riche et incisif, énergique et narquois, peu de disques se targuent d’une telle justesse dans notre paysage francophone. 

Entre deux temps :

Goune – Ricky Martin

Dans le rap français, quand on parle d’évolution du son, on caricature assez vite : boom bap puis dirty south puis trap, etc. Cela est évidemment peu représentatif du réel paysage musical, d’autant plus quand on se retrouve face à un rappeur tel que Goune. Alors qu’à priori, il est facilement rattachable au mouvement de (re)popularisation du rap technique new-yorkais porté par 1995, à l’écoute de Ricky Martin, il semble très grossier de le cantonner à ça. Ce premier album confirme déjà beaucoup de choses entrevues dans son premier projet avec son acolyte Bavaz (ex Bazoo). Si son inspiration new-yorkaise vient de quelque part, il faut chercher du côté du label Psycho Logical. Le MC Toulousain enchaîne donc avec un sourire en coin des multisyllabiques carnassières, soutenues par un ton très appuyé, marque de fabrique déjà à l’époque de cet entourage aux inspirations punk.

Aujourd’hui, Ricky Martin peut sembler un peu gauche, parfois dans le propos, parfois dans certains choix de production, mais ces sensations mitigées sont vite éclipsées. Déjà, car Goune est à la hauteur des piques provocatrices qu’il lance. Les membres du label CMF dont il fait partie sont coutumiers de la provocation qui tâche, à l’encontre des acteurs du rap qu’ils méprisent et étant donné leurs niveaux, ils peuvent se le permettre. Un très bon disque, brut et agressif, qui encore aujourd’hui nous rappelle à l’époque où Vald était vu comme un espoir du rap boom bap, où Droogz Brigade préparaient leur entrée en matière fracassante et où Toulouse promettait un Eldorado aux auditeurs de rap fourni et poisseux. Parole tenue en l’occurrence. 

Al – Le pays des lumières 

Il est complexe d’introduire un rappeur tel que Al. La pluralité des angles de vue possibles autour de sa carrière représente un défi particulier et une prise de position à elle seule, risquant d’occulter toute une partie du personnage. Souligner cette pluralité est donc potentiellement la meilleure option dont on dispose pour le présenter. Après de louables apparitions sur divers projets de fin 90 jusqu’à fin 2000, deux albums solo acclamés à juste titre, le ressentiment ne semble que croître chez Al. A tel point que ses apparitions sur l’album d’Asocial Club, avec une Casey affûtée et un Virus au niveau exponentiel, apparaisse comme des moments pivots où le proche d’Anfalsh n’a jamais paru si rageur et impactant.

Alors, lorsqu’en 2015, il prolonge l’état de grâce en sortant son troisième solo, il est compliqué de ne pas crier au chef-d’œuvre. Attaché au sens quitte à parfois finir sa phase avant ce que la métrique new-yorkaise exige, Al est fascinant par ses rythmiques imprévisibles dues au fait que le centre de sa musique, c’est le texte. Ses accélérations, ses ralentissements, ses respirations ne sont guidés que par une chose : ce qu’il a écrit doit être formulé comme il l’a écrit sans concession possible. A travers le rythme et les sons que la langue lui apporte, il réalise donc une prouesse évidente demandant un sens du rythme que lui envieraient bien des collègues. Collègues qu’il invectivait volontiers et qui sur ce disque respirent un peu. Al a d’autre préoccupation. Rugueux et acerbe, le voyage au pays des lumières ne promet aucune réelle éclaircie et ne prend tout son sens qu’avec du recul. 

Actuel convaincu :

Radmo – Doloris Victoria

La sortie d’un album d’un artiste talentueux ne tient parfois pas à grand-chose. Et en l’occurrence, ce pas grand-chose, c’est Dela. En effet, Radmo aurait pu être un de ces rappeurs de génie, à la fois charismatique, polyvalent, et avec une verve bien à lui, qui n’a jamais eu l’occasion de sortir un projet. Alors, après plusieurs années de rap avec des apparitions très notables, la rencontre avec le duo Butter Bullets, lui offre une alchimie rêvée. Avec eux, le rappeur de Besançon semble muter. Leur grandiose collaboration sur «  Les larmes du soleil » est plus qu’annonciatrice de grandes choses. Après une mixtape bien fournie arrive Doloris Victoria.

Entièrement produit par Dela, le disque sonne dans l’ère du temps et même au-delà. A une époque où la France poursuit le sillage laissé par le brutal Or Noir, Doloris Victoria offre une Trap riche d’influences, dans la lignée de la musique proposé par Butter Bullets. Cependant, Radmo l’amène autre part, jamais débordé par des productions parfois chargé, mêlant argot et désinvolture pesante. Encore aujourd’hui, le disque flamboie dans un registre inégalé. Et son côté brut, le sauve de tout risque de l’enfermer dans le contexte de son époque.

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