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Sheldon – « Îlot »: L’Odyssée Immobile

Le groupe Ärsenik a toujours apprécié présenter leur pratique du rap comme un art martial à part entière. Au delà de leur morceau culte dans lequel ils piquent comme des abeilles, les termes de karaté et autres métaphores guerrières reviennent souvent dans leurs interviews. Sous ce prisme, on peut donc considérer qu’il existe des écoles de cet art martial qu’est le rap. Une des plus mythiques et prolifiques a été Boulogne évidemment mais le tout fraîchement titré ceinture noir qui nous intéresse aujourd’hui provient d’un enseignement différent. Le style guerrier de la rime Paris-Sudienne la 75eme Session. On se concentre ici sur Sheldon et de son troisième album Îlot.

Un apprentissage progressif

Sheldon est apparu petit a petit aux yeux du publics. Toujours investi dans un collectif insufflant unanimement une énergie nouvelle dans les années 2010, son premier album présenté en tant que tel arrive en 2019. Aujourd’hui ce fameux projet, Lune Noire, semble très brut, voir embryonnaire dans l’exécution pur du rap de Sheldon tant ce qui est apparu de manière frappante au fil de FPS, Spectre et maintenant Îlot, c’est que le rappeur a parfait sa maîtrise. Son ambitieux album concept restera donc à part, équilibré entre la richesse du récit, parfaitement construit, couplé à une forme encore brut du jeune rappeur. 

Cover de « Ilots’ de Sheldon

On accoste sur la rive 

Nous sommes probablement face à ce que Sheldon a fait de plus abouti. Les préférences personnelles autour de sa musique, elle-même si intimiste, ne doivent pas être prises en compte quand on constate ceci : la formule est dans son état le plus maîtrisée. Epektase, déjà à la hauteur de son pseudonyme sur bien des prods de Spectre, fournit sur Îlot les boucles mélodiques, douces et contemplatives, que semblait désirer Sheldon depuis bien des albums. A deux exceptions prêt il ne serait pas inexact de parler d’album collaboratif entre le producteur et le rappeur, donnant une teinte continue aux disques. Cette volonté d’homogénéité transparaît par bien des aspects d’îlot, s’opposant presque au précédent opus qui, bien que très réussi, fonctionnait principalement par coup d’éclats. Certains en viendront peut-être même à regretter l’absence d’invité au micro. Mais cela aurait été sacrifier l’aspect principal du projet : l’isolement.

Ici, ce troisième LP propose 16 track immersive dans un univers qu’on connaît bien, mais qui n’a jamais aussi bien pris forme. Des percussions de « Noir Parler «  à la boucle vaporeuse de « Brouillard » jusqu’au très sobre « La Haut », tout parait millimétré, assuré, à ça de l’anti instantané. Tout à l’exception d’une chose : Sheldon. Toujours avec un flow aéré, des textes frôlant le naïf et atteignant le touchant et le réconfortant l’album atteint un équilibre assez fascinant entre l’assurance musicale et le naturel du rappeur. Cela saupoudré des effets vocaux de Sheldon qu’il utilise dans l’esprit (seulement dans l’esprit) dans la digne initiative de « Future » comme une accentuation de l’écorché vif. C’est à ce demander si un disque de la 75e a déjà été aussi fluide à écouter et s’est déjà écoulé aussi naturellement. 

L’odyssée immobile 

C’est donc dans ce contexte musicale qu’on ère sur les Îlots de Sheldon. Oui les Îlots. Ces lieux symboliques, curatifs et ressourçants . C’est bien de ça dont il est question à travers les passions bien connues du protagoniste ou même ses démons. Que cela soit à travers les jeux vidéos, les mangas ou évidemment la musique qui ornent tous ses thématiques depuis ses débuts Sheldon s’exprime à la fois sur le bien-être que ces îlots de réconfort lui confèrent mais aussi sur une crainte naturelle qui est celle de la coupure définitive avec le monde extérieur. Elle apparaît en filigrane dans Walkman notamment, envoûtant et nébuleux où Bowie et Nubi semblent diluer les frontières avec le réel. Mais le voyage sur l’îlot continue malgré les craintes. Son auteur ne cherche pas de brutale Catharsis. Si elle doit arriver ce sera par l’écoulement et l’apaisement. 

Un repos mérité 

Dans ce disque, Sheldon touche sûrement à sa forme la plus aboutie maîtrisée et souhaitée. A la frontière entre une très brut vision de la revanche du nerd et de la confession d’un enfant du siècle, Sheldon n’a l’ambition d’aucun des deux et semble plus que jamais satisfait de sa propre proposition. Le malgré lui leader symbolique du collectif n’a jamais paru aussi proche de ses héros qui volontairement ou non sont particulièrement présents dans cet album. Sont cités épisodiquement Moon Dog puis Debussy puis Cannibal OX puis Bowie puis Nubi etc etc. Tout cela donne un des albums les plus matures de cette année tant dans la production, mûrie depuis bien longtemps, que dans un propos acceptant à la fois tendrement et à la fois de manière hésitante un côté enfantin. Un voyage immobile, sur un minuscule archipel très riche. Comme son auteur a toujours aimé. 

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