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Sheldon – « SPECTRE » sur la mesure

Pour de nombreux artistes la musique est un moyen pour atteindre la notoriété, la richesse et la reconnaissance. Pour d’autres, elle est une pulsion, le leitmotiv d’une vie. Quand la musique est l’essence même d’un individu, sa réalisation en devient authentique. C’est le cas avec Sheldon et « Spectre », son nouvel album.

Avant de parler de l’album, nous nous devons de présenter cet artiste si unique. Sheldon est multi casquettes : rappeur, beatmakeur et ingénieur du son. Il est souvent perçu (à raison) comme le porte-étendard du collectif 75ème session (conglomérat d’artiste mais avant tout groupe d’ami). Il se considère d’abord comme un rappeur mais sa contribution derrière les machines est telle qu’il faut la mentionner.

75ème session
Architecte musical

Il est un personnage énigmatique, voire mystique. C’est la tête pensante d’innombrables projets sorti sous l’étiquette 75ème session mais ne se met jamais en avant. Sheldon est l’archétype de ce garçon mystérieux assis au fond de la classe. Toujours dans sa bulle, hors des normes sociales mais immensément intéressant. Pour tout amateur de cette école de rap, il est l’un des mentors du collectif. Nombreux de ses amis (Sopico, Inspire, Hash24, Vesti…) ont toujours loué son savoir-faire et toutes les connaissances qu’il leur a apporté. Sheldon fait partie de ceux qui estiment que le savoir est fait pour être partagé.

Ainsi, il a grandement participé à l’élévation artistique des personnes avec qui il a collaboré. L’artiste semble passer sa vie derrière les machines à produire de la musique. Preuve en est, il était l’un des résidents permanents du studio « Le Dojo », le quartier général du collectif. Nous ne savons pas si c’est encore le cas puisque cette équipe s’organise autour d’un nouveau projet de studio dans Paris.

Sheldon

L’homme ne s’épanouit pas dans notre société, il a donc créé sa planète, son propre monde. Celui-ci est ancré dans un univers de jeux vidéo dans laquelle la création est omniprésente. Sheldon est le personnage principal de son aventure. Son monde semble constamment plongé dans la nuit où la Lune est la seule source de lumière.

Même si ce disque a des allures de 1er album, il pratique son art depuis une dizaine d’année. D’ailleurs, il a sorti de nombreux projets au milieu de années 2010 qui ont permis à un public de découvrir son style si particulier. C’est d’ailleurs à cette époque que le collectif 75Sess et ses membres se font connaître. On se rappelle encore de leur prestation en 2014 pour la Grunt#18. Un instant mémorable !

On retiendra notamment son premier long format « Fétiche » sorti en 2015 qui a beaucoup tourné dans nos oreilles cette année-là. Par la suite, il a mis en pause sa carrière de rappeur en se consacrant à la production durant quelques années. C’est à la fin des années 2010 qu’il revient sur le devant de la scène en tant que Sheldon, le rappeur. Ensuite, il enchaîne les projets : « RPG » en 2018, « Lune Noire » en 2019 et « FPS » en 2020.

Forcément, ces différents opus lui ont permis de murir son art dans la salle du temps avant de livrer cet album. Pour ce genre d’artiste, le format album est l’aboutissement d’un long développement artistique et doit faire figure de pièce maîtresse dans sa vitrine. C’est donc en novembre 2021 que Sheldon franchit le pas et livre son bijou le plus précieux : « SPECTRE ».

Sheldon – « SPECTRE »
Toute une histoire…

« SPECTRE » n’est pas juste un album, il est symbole de la rencontre entre un artiste et son public ! En effet, le 12 mai 2021, il annonce sur ses réseaux le lancement d’un financement participatif dans le cadre de la création de l’album. Sheldon a des ambitions pour « Spectre » et demande le soutien de ses auditeurs pour y parvenir. Cette démarche fait évidemment écho à celle de Georgio (son ex-acolyte de la 75ème session) pour l’album « Bleu Noir » en 2015, son 1er album.

Le concept : en échange de quelques euros à plusieurs centaines, le contributeur reçoit des contreparties plus ou moins importantes. On retrouve évidemment l’album, mais aussi du merch, jusqu’à même un concert privé ! L’initiative est un réel succès puisque Sheldon a récolté plus de 70 000€ grâce à presque 900 contributeurs. Nous avons d’ailleurs nous-même participé à cette belle aventure. A l’occasion de cet évènement un serveur Discord a été créé avec tous les contributeurs où l’échange et le partage y sont très présents. Avant même sa sortie, l’effervescence autour de ce disque lui donne déjà une saveur toute particulière.

L’aboutissement artistique

« Spectre » représente une réelle évolution dans la carrière de Sheldon. Autour des 19 titres qui le compose il nous offre une toute nouvelle facette de son art. Là où auparavant il dissimulait son identité et ses pensées autour de différents univers et références, aujourd’hui il a ôté cette carapace pour se livrer sans artifice.

Au-delà de sa musique on sent que l’homme a muri. Ces précédents projets étaient très conceptualisés, il réussissait tout de même à y parsemer de nombreux éléments personnels : ses doutes, ses peurs, ses peines et ses joies… Cependant, pour y parvenir il passait constamment par l’intermédiaire de concept ou de références. Ces derniers témoignaient de l’ambivalence de Sheldon entre la pudeur et la volonté de partage. Il souhaite se livrer à nous mais cette route reste difficile à emprunter. Elle demande parfois un effort considérable pour l’artiste. Ancrée par exemple sa musique dans un univers de jeu vidéo demeurait un bon moyen de se raconter sans trop en dire sur lui.

Avec « SPECTRE », Sheldon brise cette carapace pour se dévoiler à son public sans filtre ! Spectre est d’ailleurs un parfait qualificatif pour présenter qui il est. Il désigne son goût pour la nuit, omniprésente dans sa musique.Il est un homme de l’ombre dans le sens propre comme au figuré. L’artiste témoigne aussi de son décalage avec le monde réel, son souhait de ne plus être un humain, devenir immatériel.

On peut aussi faire un parallèle avec son attrait pour le monde virtuel des jeux vidéo où le principe de spectre est très présent. On pense notamment à Pokemon et ses monstres de type spectre. Finalement, dans ce terme des tonnes de liens peuvent être imaginés avec Sheldon. Lorsque le titre du disque résonne comme un synonyme de la personnalité de son auteur il est clair que l’introspection sera de mise.

Souhait d’évasion

L’album est résolument ancré dans un monde nocturne et les thèmes abordés sont vastes. Son mal-être dans notre monde est sans doute le plus présent, il est le fil conducteur du disque. Preuve en est dès la première phrase de l’album :

« Depuis petit, je préfère la douceur, j’me sens différent des autres humains
Depuis petit, je préfère le calme, j’suis pas venu sur terre pour faire le mal »

Spectre

Il ne s’identifie pas de nos sociétés actuelles. Sa vision des choses est en opposition avec celle des autres. Son incompréhension et son impuissance quant à l’évolution de notre monde l’empêche donc de s’épanouir. Il semble vivre des périodes de vastes remises en question où il souhaiterait même ne plus faire partie des humains. Il évoque vouloir sortir de son corps. Là-aussi cela fait écho au terme de spectre. Tout au long du disque il témoigne de ce besoin d’ailleurs.

« Si je pars loin d’ici, peut-être que je pourrai respirer
Ma gorge se serre à chaque feu rouge
Allez simple, y a pas d’retour »

Feu rouge

Il va même jusqu’à créer un monde imaginaire et des voyages spatiaux dans lequel il se détache du poids qu’il le retient sur Terre. Le morceau « James Cole » en est le parfait exemple.

« Dans ma capsule, j’vole, le temps est plus long quand t’es seul
Perdu, j’voudrais sortir de mon enveloppe »

James Cole

« J’fais ce rêve où j’vole, loin dans les nuages, haut dans l’ciel
J’fais ce rêve où j’pars là où les autres ne me dégoutent pas »

James Cole

Ainsi, son art semble être un moyen pour lui de se détacher de notre planète et laisser place à ses rêves. Sa musique témoigne désormais parfaitement de son identité. C’est un pari réussi pour le prénommer Sheldragon.

L’heure du bilan

La création de « Spectre » semble aussi avoir permis à Sheldon de tirer des enseignements quant à ce qu’il a vécu jusqu’ici. Il livre à la fois les constats de sa vie mais aussi les questionnements qui persistent dans son esprit. Il adopte d’ailleurs souvent une manière très terre à terre pour tirer ses conclusions.

« Demain il fait tout noir, c’est le premier jour de la fin d’ma vie
J’voulais faire un truc de ouf, j’ai fait aucun truc de ouf »

James Cole

Il est un adepte de ces expressions qui semblent nonchalantes mais qui sorties de sa bouche prennent toute leur ampleur. Elles sont à la fois simplistes mais son interprétation leurs apportent l’impact escompté. Ces techniques d’écritures et d’interprétations lui servent aussi à parler de relation amoureuse, chose très rare dans sa musique jusqu’alors. Le morceau « Mon amoureuse » est un petit bijou de singularité dans l’exercice d’un morceau traitant de l’amour homme/femme.

« J’ai une amoureuse et elle est vachement cool et on va partir vachement loin
Ça t’fait marrer, ça j’m’en doute hein mais elle et moi, c’est comme dans les bouquins »

Mon Amoureuse

Il aborde aussi bien d’autres sujets liés au comportement qu’il a adopté avec les autres. Il évoque le fait d’avoir souvent été trop gentil avec autrui. Cette gentillesse ne lui aura pas toujours été rendue. Entre profiteur et opportuniste, les relations n’ont pas toujours été respectueuses et basées sur un principe de reconnaissance. Il estime avoir beaucoup donné, beaucoup travaillé sans parfois recevoir le respect mérité en retour.

 

Hommage à ses proches

Un autre fil conducteur de ce disque : les références constantes à ses proches. On comprend ainsi rapidement l’importance que ces derniers ont dans la vie de Sheldon. S’il y a bien quelque chose qui le retient sur notre planète c’est sans doute sans entourage. L’ombre de la 75sess plane notamment sur de nombreux morceaux.

«  Y a qu’eux pour me relever quand je saigne Ma famille, ma 7.5, les gens qu’j’aime »

Feu rouge

« Dojo, 7.5, j’tire, tu perds
Nindo, loge »

Tunnel

Ces relations sont un soutien sans faille pour le rappeur, ils s’élèvent et s’entraident constamment. Ces liens font figures de médicaments.

« J’envoie de l’énergie dans vos cicatrices »

Quasar

Il montre aussi l’importance de savoir distinguer les mauvaises intentions d’autrui à son égard. Il explique qu’il est essentiel de déterminer les vrais des faux. Dans « Justesse », il dit qu’il sait faire la différence entre un frère et un copain. Il puise sa force dans l’amour des siens comme il l’évoque dans « James Cole » avec un hommage à son ami décédé Népal.

« J’ai la même envie de tout brûler depuis qu’il est parti »

James Cole

Toutes ses références apportent une réelle consistance au projet. Même si Sheldon semble se sentir seul Terre, il est clair que son entourage proche a une place centrale dans sa vie. Il est littéralement seul entouré de plein de monde.

L’art de la métaphore

Il est essentiel de parler de cet album en mettant en avant sa qualité d’écriture. Sheldon sait mettre des mots sur ses pensées. Il utilise régulièrement la métaphore pour se présenter à nous.

« Un peu de légèreté, moi j’suis comme le vent dans les cheveux d’une brune »

Infini

Ce procédé apporte un aspect très imagé à sa musique. Il parvient toujours à décrire sa personnalité d’une manière poétique. Le morceau « Quasar » en témoigne d’ailleurs parfaitement :

« J’suis comme une fleur dans un sous-sol, moi
Comme le soleil dans la nuit noire, eh »

Quasar
Conclusion

« SPECTRE » est un véritable album personnel. Il s’inscrit comme un reportage sur sa vie, comme en témoigne le morceau « Docu ». Sheldon se démarque ici avec un style d’écriture unique et une interprétation qu’il est seul à pratiquer. Ce disque a tout d’un album définitif, il aborde de vastes sujets qui lui offriront une durée de vie certaine au fil du temps. Sa musique n’est pas périssable, la profondeur de son contenu ne l’attache pas à une période figée.

Finalement, on peut voir « SPECTRE » comme une autobiographie de Sheldon tant il se raconte au travers des 19 titres. Les featurings apportent aussi de l’attractivité au disque en ramenant Sheldon sur notre planète. L’album est clôturé par le titre « Caverne » qui est une synthèse parfaite de l’album. L’introspection est à son paroxysme et laisse une grande impression quant à la qualité certaine du disque ! Cet album est une franche réussite et la consécration pour celui qui a tant donné au rap français des années 2010 à aujourd’hui. Il est certain que ce disque s’inscrira comme un des projets marquants de l’année et deviendra une pièce maîtresse dans la bibliothèque musicale de ses auditeurs.

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