Lino – « Requiem »

Si vous lancez un jour le débat de savoir quel rappeur français détient la plus belle plume et peut donc prétendre au titre de meilleur lyricist du pays, le nom de celui qui a commencé sa carrière sous le pseudo de Borsalino reviendra certainement plusieurs fois. Ceux qui partagent cet avis sont d’ailleurs dans l’attente d’un nouvel album de sa part depuis plus de 5ans. En attendant, on vous propose de vous replonger dans un des sommets d’écriture du rap français, « Requiem » de Lino.

Lino qui est considéré comme un des meilleurs lyricist du pays est l’illustre moitié de la fratrie Ärsenik qui a sorti en 98 le classique «Quelques gouttes suffisent »! Son premier album solo « Paradis assassiné » est sorti en 2005 à une époque où on attendait le 3eme album solo des frères de de Villiers-le-bel. Celui ci a été suivi de l’album « Radio Bitume » que Lino lui même ne reconnaissait pas et qu’il avait invité à le boycotter.

C’est donc en 2015 et avec « Requiem » que Lino et sa plume reviennent mettre le rap français d’accord! Et on ne peut que constater que la dizaine d’années qui ont séparé les deux albums qu’il a décidé de sortir n’ont pas altéré la qualité d’écriture du rappeur. Car si il est rentré dans l’industrie du rap avec le but d’en vivre, il a surtout un réel besoin d’écrire et de vider son sac.

Que le Hip Hop français repose en paix !

Un requiem,dans le sens religieux du terme, c’est une messe qui intervient avant un enterrement. Avec un thème central tournant donc autour de la faucheuse, Lino vient enterrer ou déterrer le rap français! Tout dépend de quel point de vue on se place! Vient-il par son flow et ses rimes acérées relever le niveau du rap pur et dur ou mettre sous terre la concurrence en montrant qu’il est indiscutablement le meilleur MC de l’hexagone?

L’album s’ouvre sur morceau sombre et justement intitulé « Choc funèbre » sur lequel le couplet presque à cappella de Lino montre bien qu’il reste au dessus de la masse et que son charisme au micro est intact.

Le titre suivant , 12ème lettre, s’occupe lui de démontrer que la plume de Lino est exceptionnelle via un exercice de style particulièrement intéressant. Ce titre est une prouesse en terme d’écriture. En effet, Mr Bors pond un égotrip cinglant dans lequel il multiplie les allitérations en L (12ème lettre de l’alphabet) et ce pas moins de 500fois en 5mn… Le tout accompagné d’un magnifique clip en noir et blanc dans lequel apparaissent plusieurs acteurs du rap game hexagonal.

Pour ce qui est des thèmes abordés, il ne nous sert pas uniquement de l’égotrip survitaminé. On a aussi droit à des textes plus conscients comme « Fautes de français » en feat avec Dokou ou « peuple qui danse » avec la star Congolaise Fally Ipupa. Outre ces chanteurs, Lino invite également ses frères Calbo et T-Killa, Sofiane, Niro ou Youssoupha. Si ces rappeurs font bien, voir très bien le taf, chaque couplet de Lino le place au dessus de ses convives.

De plus, il se montre à l’aise sur divers formats. On oscille effectivement entre des associations textes/prods aux ambiances sombres et d’autres combinaisons plus lumineuses, plus formatées radio avec des refrains chantés. Ces derniers comme les titres avec Zaho ou Corneille sont peut être un ton en dessous.

Si en effet, certaines pistes de l’album peuvent paraitre plus « grand public », le rappeur du 95 ne suit pas pour autant la tendance. C’est ce qu’il évoque sur un des grand moments du projet avec le brulot « Suicide commercial ». Il y clame haut et fort se foutre de savoir si ces textes et déclarations plaisent aux bien pensants et aimer choquer avec ses écrits. Tant pis, si il ne squatte pas le haut des charts.

Si l’album a une vraie cohérence globale, sûrement due à la réalisation de l’album par TEFA, il y a néanmoins une certaine variété dans les sons de ce projet!

Lino retrouve son flingue !

Outre son flow reconnaissable entre tous, c’est bien par son écriture qu’il fait la différence! Tout au long de l’album, celle ci est dense, imagée, pleine de vocabulaire, de références et de punchlines plus dingues les unes que les autres. Pour les plus anciens, Lino est un eu au rap français ce que Renaud était à la chanson française dans les années 80-90. Tant en terme d’utilisation de l’argot, que dans les images employées ou l’esprit contre système qui anime les 2 artistes, la filiation est évidente. Le morceau « Le flingue à Renaud » en est une parfaite illustration et un fort bel hommage au chanteur et à son morceau « Où c’est qu’j’ai mis mon flingue? » .

 Certains trouveront comme défaut à Requiem un certain manque de prise de risque et d’innovation! Mais ça n’a rien de surprenant quand on sait que Lino se revendique old school et que le fond lyrical prime sur une évolution de la forme musicale. De toute façon, cela se saurait si le rappeur faisait dans la concession! Et il le démontre encore en écrivant des textes fleuves dans lesquels les partis pris sont plus que présents!

En témoigne l’incroyable Outro éponyme de l’album. Un titre long de 8mn pendant lesquelles le MC lache phases incroyables sur phases incroyables afin de mettre fin au débat sur sa place tout en haut du rap français!

« …La vengeance renvoie les balles comme Federer. Ace, jeu, set et match: service funéraire ! J’veux un scratch, j’ai une prière pour les B-Boys d’hier. Le Hip Hop dort dans un jardin d’pierres!  »

Lino – Requiem

Même la cover sombre sur laquelle apparaît un Lino capuché et à qui on tend un micro d’un coté et un gun de l’autre, met tout de suite dans l’ambiance: ses mots sont des balles et il détient « tout l’alphabet dans son chargeur »!

« …Depuis mes premiers cris, la méthode, j’ai jamais choisi la douce. J’ai tout l’alphabet dans mon chargeur, mon flingue sait compter jusqu’à Douze ! »

Lino – 12ème lettre »

« Requiem » reste plus de 5 ans après sa sortie, un des albums les mieux écrits de sa décennie si ce n’est de l’histoire tout court. Un album, qui aujourd’hui encore, a peu d’équivalent en matière d’écriture. Un projet qui a aussi permis de confirmer, si cela était nécessaire, que Lino fait parti du gratin des Lyricists du rap, voir même de la musique française tout court.