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Kaaris – les 10 ans d’ « Or Noir », ou la démocratisation du « sale »

Le 21 octobre, le rap français fêtait les 10 ans d’un des derniers classiques. Or Noir de Kaaris a marqué plus d’une génération. Retour sur un album

Dans la vie d’un auditeur, il y a toujours des premières fois qui marquent plus que d’autres. Des moments où la découverte d’un nouvel artiste change notre vision de la musique. L’une de mes claques auditives les plus marquantes remontent à 2012, lorsque Booba, superstar du rap français, invite un illustre inconnu, Kaaris, sur le titre « Kalash » présent sur Futur, le 6e album du Duc. Ce featuring marque le milieu du rap. La violence des propos se mélange à un humour acide, si bien que le public, 10 ans après, se rappelle aisément de cette histoire de « gros doigts de pied ». Et en l’espace d’un couplet légendaire, le rappeur de Sevran devient une nouvelle icône du rap français.

Près d’un an après, Kaaris sort Or Noir. Ce premier album devient un classique et un marqueur générationnel. De par la dureté des textes et de la musique, K double A transforme le rap hardcore et démocratise, d’une certaine manière, le « sale ». Alors que l’album fête le 21 octobre, son dixième anniversaire, retour sur un véritable game changer des années 2010.

D’une kalash aux étoiles

L’explosion de Kaaris est aussi une question de timing. Quelques mois après la rafale « Kalash », intervient « Zoo ». Entre l’arrivée de Kaaris dans un gros 4*4, AK 47 en main, regard menaçant et figure guerrière, le clip fait franchir un cap au rappeur. Or Noir est attendu comme le blockbuster de l’année. Mais à la manière d’une fusée, savamment préparé, le décollage est fulgurant. Tant commercialement que musicalement, l’impact est sans appel. Comme le rap français est beaucoup dirigé sur les chiffres de vente, précisons que l’album finit platine (100 000 ventes), dans une période où le streaming n’est même pas comptabilisé. Au moment du clash entre Rohff et Booba, le Sevranais s’impose comme la nouvelle figure du rap français.

C’est tout un personnage que développe Kaaris, d’abord, grâce aux clips de Chris Macari. Le réalisateur est reconnu pour l’imagerie gangsta et l’esthétique sombre. Devant sa caméra, le rappeur impose sa carrure de Viking, son regard noir et sa voix caverneuse. Pas étonnant qu’Okou Gnakouri, de son nom civil, ait eu plusieurs expériences au cinéma par la suite. Durant l’année 2013, chacun de ses clips est attendu comme la série du moment. Dans « Binks », il est un personnage sorti des bas-fonds de Gotham City version française. Tandis que dans « Dès le Départ », son image de thug au milieu d’un hood des Antilles françaises rappelle les street anthem US. Pour traumatiser le rap game, Kaaris a bien compris l’importance du visuel autant que la musique, et impose l’emblème d’un chef de guerre.

Par ailleurs, il investit l’espace médiatique, avec plusieurs apparitions à la télé. Et que dire d’internet qui s’empare du personnage à coups de blagues et de mèmes sur Twitter. Kaaris s’incruste dans la pop culture en défonçant la porte arrière et dicte sa loi au rap français.

La Trap, sous-genre devenu majeur

Comment parler de cet album, sans parler de Trap ? Piochant tant chez les légendes d’Atlanta, que dans la drill de Chicago, Kaaris mixe ses influences pour en faire une version française. Mais là où les Chief Keef et Lil Reese débordent d’énergie juvénile, Talsadoum mise sur la brutalité. Ses punchlines sont plus tranchantes, appuyé par sa voix autoritaire et caverneuse. Aux menaces propres à l’égo-trip, le Dozo distille une dose d’humour presque puéril.

« Ça te dérange mais tu fermes ta gueule
Tu restes àl, tu prends sur oit’, comme quand l’daron lâche des perles »

Kaaris – « Bizon »

Si l’album devient un classique, c’est aussi grâce à la qualité des beats. L’équipe Therapy Music concocte des productions sur mesure, caractérisées par des BPM accélérés, des sons synthétiques froids qui plonge l’auditeur dans une ambiance lugubre et explosive. Derrière ces productions, le producteur Mehdi aka 2093 agit comme réalisateur de l’album et chef cuisinier. Des années plus tard, en interview chez Booska-P, lorsque les deux protagonistes évoquent cette époque, ils fonctionnaient comme un véritable duo dans leur processus de création. Avec Kaaris, la trap, ce son, chargé à la nitroglycérine, devient la nouvelle tendance dans le rap français.

L’héritage de Kaaris

Dire que Kaaris a révolutionné le rap hardcore, est un peu exagéré. Depuis les années 2000, le street rap a déjà posé les codes d’un rap dur et virile. Les thèmes y sont tournés autour de la vie de rue et des activités criminelles qui en découlent. On ne compte plus les rappeurs racontant leurs (més-)aventures dans l’illicite (Salif – « Cash Converter », Alpha 5.20 -« la bicrave est dans ma tête »). Mais dans Or Noir, Kaaris a une démarche plus décomplexé et directe. Le morceau « Je Bibi » assume totalement le deal comme mode de vie. À partir de cette période, les nouveaux pratiquants du rap de rue multiplient les évocations de la vente de drogues. Une tendance qui devient un code presque obligatoire. Si bien qu’en 2023, on a l’impression que les 3/4 des rappeurs sont passés par la case deal avant de percer au micro.

En plus, des paroles résolument street, apparaît une autre tendance dans le rap français. Le flow saccadé, propre à la Trap music et popularisé par le groupe Migos, devient aussi un dénominateur commun dans le rap hardcore. Kaaris utilise bien entendu le « Triplet flow » mais n’en abuse pas non plus. À cette période, on ne compte plus les rappeurs manipulant ce flow, qui découpe chaque syllabe.

Au delà des thèmes et du flow, c’est tout l’aspect global de Talsadoum qui inspire une génération. Dans son sillon suivront, les Gradur, Niska, 13 Block ou Kalash Criminel pour ne citer qu’eux. Si chacun des rappeurs cités, imprime leur propre style, ils continuent à populariser la Trap.

10 ans après, l’influence de cet album sur le rap français est indéniable. Tel une déflagration, le Sevranais a imposé un style, une voix charismatique et une attitude martiale. Certes, sa carrière a connu des hauts et des bas, mais grâce à un seul couplet, il est capable de faire hérisser les poils du public. Et d’être utiliser pour faire marrer la planète twitter. Début 2024, Kaaris fêtera Or Noir, dans l’antre de Bercy, avec deux concerts qui s’annoncent exceptionnels. Ca sera donc l’occasion pour l’auteur de « Zoo » de sortir de sa cage !

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