Quelle meilleure occasion qu’un anniversaire pour revenir sur un album de rap français sorti il y a plusieurs années? Alors puisqu’il fête ses 15 ans, nous avons choisi de remettre un peu de lumière sur un projet classique du rap hexagonal: « Scarlattitude » de Nubi.
Notre coup d’œil dans le rétroviseur nous emmène donc en 2006. Une époque où le rap de rue est devenu la norme et a pris le pas sur le rap engagé, conscient voir politisé qui a permis au genre d’exploser dans les années 90/2000. Une période qui est aussi commercialement plus creuse après le premier age d’or. La faute au téléchargement illégal mais également à ce contenu moins accessible à un public qui ne se reconnait pas forcément dans les lyrics des rappeurs.
2006 reste paradoxalement une des très belles années de la décennie 2000-2010 en terme de qualité. En effet, cette année seront sortis « Ouest Side » de Booba, « La mélodie des briques » de Nessbeal, « Qui suis-je? » de Sefyu, « Trait pour trait » du groupe Sniper, « Poétiquement correct » du Pop Dan, « Le général » de Mac Tyer ou encore « Les sirènes du charbon » de Despo. Autant d’albums de hauts niveaux qui restent pour les fans de rap francophone, des albums cultes.
Au milieu de tout ceux là, on retrouve une street tape qui jouit d’une belle estime pour ces mêmes auditeurs: « Scarlattitude » du rappeur du 91, Nubi. Si le premier solo du Martiniquais d’origine ne sort qu’au milieu des années 2000, le mec d’Évry ne débarquait pas de nulle part. Il était déjà présent dans le rap game depuis les années 90. Il formait avec Qrono le groupe Futuristiq qui apparaitra notamment sur la compilation « Première classe ». Ils sortiront leur premier album « Demain, c’est maintenant » en 2001 chez Secteur A Miziks.
Son compère souhaitant mettre sa carrière musicale en pause, Nubi se retrouve donc à évoluer en solo. Et c’est la structure 707 Team de Madizm et Sec.undo qui produira son premier projet solo. Un street Cd, format que l’on nommerait Mixtape en 2021, de 17 titres qui finit de définir les contours de l’univers rapologique de l’artiste.
Poésie urbaine
Si on devait d’ailleurs essayer de défnir le style de Nubi, on pourrait le faire en disant qu’il est un savant mélange de 3 rappeurs. Il détient ce coté brut et « Rue » qu’avaient Salif ou Hifi mais aussi une certaine facilité à manier les mots qui n’est pas sans rappeler Zoxea. Le nom de cet album en est une démonstration évidente. Cette contraction des mots Scarla (lascar) et attitude atteste de son attachement à ces quartiers dont il vient. Il montre aussi aussi son coté frime et prouve que les mots et sa façon de jouer avec ont une importance.
Ce n’est pas la première piste de la tape qui contredira sa capacité à écrire des jeux de mots. Sur le désormais classique « Neuf 1 vasion ». Une ode à son département de l’Essonne où il rajoute le mot « Neuf » devant chaque mot commençant par la syllabe « in », histoire de rendre hommage au 91. D’autres noms de morceaux comme « Atroce cité » ou « Maille ou crève » confirment le talent de Nubi pour jongler avec la langue de Molière.
Mais il ne se contente pas de jongler avec. A l’instar d’Arsenik, ses ex grands frères chez Secteur A, il boxe littéralement avec les mots. Souvent drôle, il sait également se montrer plus cru lorsqu’il fait référence à cette banlieue sale dans laquelle il vit.
« … Ma zic t’emmène où ça pue la pisse, t’as vu l’affiche… On part en virée nocturnes dans les cités obscures… »
« Rien ne m’arrête »
Les textes sont crapuleux, ancrés dans le ciment. Pas déloges du crime cependant, juste un constat sombre de cette vie de mec de tess avec quelques rêves d’évasion comme sur le titre « Le vertige ».
« …J’bicrave plus mais j’ai encore un tas d’soucis à revendre. Et si jamais j’m’en sors… Putain j’y crois tellement fort, si j’abandonne, c’est qu’j’suis vraiment mort, ma zik, j’vis que pour ça… »
« Le vertige »
La poésie de Nubi, si on parle de rap, n’est pas celle d’Oxmo par exemple. On est plutôt confronté à une prose qui sent le bitume, la bicrave et les journées à galérer en bas des tours. Elle se rapproche donc plus de celle du Booba époque « Temps mort ». Il pousse même l’hommage en allant jusqu’à poser son « Freestyle têtes brulées » sur la prod de « Repose en paix ». Le son est présent sur la compilation « Têtes brulées vol.2 ».
Nubi légendaire
Ce n’est d’ailleurs pas le seul morceau de ce street CD que l’on retrouve sur d’autres projets. Le titre classique « Légendaire » figurait par exemple sur la compilation « Hostile 2006 ». Mais si il y a bien un morceau qui mérite d’être cité comme un de ceux qui ont participé à la réputation de « Scarlattitude », c’est bien « Mack le biz ». Ce dernier est un parfait condensé de ce qu’était Nubi en terme d’écriture, d’égotrip et d’attitude.
La verve de l’Essonien est soutenu par une bande son qui aurait parfois pu être celle de Scarface ou de tout autre film de voyou. Peu ou pas de boucles violons ou de piano. Les instrus sont à la fois sombre et dynamiques et frappent fort comme le flow du rappeur. Ces prods sont signées par plusieurs beatmakers différents dont Dave Daivery, Le Plank, Récidive Prod, DJ Goldfingers et bien évidemment Madizm et Sec.undo qui, comme dit plus haut, sont les fondateurs 707 Team, label sur lequel sort cet album.
Le principe du Street CD étant d’établir une espèce de carte de visite de l’artiste, il n’y a rien de surprenant à le retrouver en solo sur 14 des 17 titres que contient l’album. Les titres faisant exception sont « Skud 91 » sur lequel on retrouve Nice et K.P.Lo, un Freestyle avec le rappeur de Philadelphie Peedy Crack et Flashy ainsi que « Sud Sale » sur lequel apparaissent Etto, Myssa et Taro OG. Suffisant pour varier un peu les flows même si il faut l’avouer, le charisme et l’activité de Nubi au micro lui auraient largement permis de porter « Scarlattitude » sur ses seules solides épaules.
Classique du rap français.
Le statut de classique, terme dont on a tendance à abuser parfois lors de débats enflammés autour des albums de rap, peut être attribué à ceux ci sur plusieurs critères. Certains vous parleront de la popularité du disque et par découlement, de ses chiffres de ventes. D’autres préféreront vous parler de la qualité du projet, même si il n’est pas connu du plus grand nombre, et de la trace qu’il aura laissé. On peut également prendre en compte la direction artistique tenue par l’artiste et la capacité de l’album à bien vieillir et à traverser les années.
En prenant en compte les derniers critères énoncés et le type de rap pratiqué par Nubi, » Scarlattitude » mérite au même titre que « Rien à perdre, rien à prouver » (Hifi) ou « Street Minimum » (Nakk), ce statut de classique du rap français.
2 réponses sur « Les 15 ans de « Scarlattitude » de Nubi »
Nubi, très grand mc’s, dommage qu’il n’ai pas fait plus de projet solo, que sa soit Futuristiq ou en Solo, ou sur compilation très fort.
C’est ce genre de mec qui fait que je continue à rapper encore à 42 ans, car c’est ma génération et c’est rendre hommage à ces gens là 🙏 comme nubi, hifi et pleins d’autres qu’on entend plus.
[…] surtout fait connaître par l’incroyable reprise de “Repose en Paix” de Booba par Nubi. Mais ce serait occulté le reste du projet aussi crasseux que jouissif à écouter. On alterne […]