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« 17 Octobre » de Médine: Devoir de mémoire

Il y a 60 ans, un massacre organisé causait la mort de centaines d’Algériens dans les rues de la capitale Française. Un évènement qui sera autrefois passé sous silence et même longtemps absent des livres d’histoire. Heureusement, certains rappeurs y font référence et ont permis à cet épisode de ne pas finir aux oubliettes. Parmi eux, Médine s’acquitte de son devoir de mémoire avec le morceau « 17 Octobre ».

Septembre 1961, la guerre entre la France et l’Algérie est dans une phase compliquée car l’indépendance de l’Algérie est en négociation. Par conséquent, le climat est plus que tendu. Les environs 150 000 algériens présents en France subissent une pression policière et disciplinaire quotidienne. Ces mêmes policiers et d’autres symboles de l’autorité sont aussi victimes d’attentats de la part de certains mouvements nationalistes Algériens comme le FLN.

C’est la (mauvaise) raison pour laquelle le 5 octobre, le préfet de police de Paris , Maurice Papon, décrète un couvre feu après 20h30 pour les immigrés (sous entendu les algériens). Quand on connaît les agissements de Maurice Papon durant la seconde guerre mondiale, on peut légitimement s’interroger sur sa moralité et son respect envers toute personne non « française de souche ».

Nuit sanglante

En raison de ce harcèlement  policier, jugeant ce couvre feu excessif et souhaitant militer pour l’indépendance de leur pays et le respect de leurs droits, le FLN appelle les algériens de France à une manifestation pacifique et non violente dans les rues de Paris le 17 Octobre 1961

Manifestation du 17 octobre 1961

Bien sur, l’organisation de cette manifestation est vue comme une provocation par le gouvernement en place. Malgré la pluie et le froid, entre 20 000 et 30 000 personnes marcheront donc dans les rues de Paris sans pancarte, sans slogan et sans arme. 

Malgré la caractère pacifique de cette manifestation, une immense rafle sera organisée et 12000 personnes seront arrêtées ce soir là. Dans la continuité, on demandera aux policiers d’empêcher les manifestants de défiler dans les rues de la capitales. Et ce à n’importe quel prix. Manifestement, les forces de l’ordre seront sans pitié.

Plusieurs d’entre eux périront sous les balles. D’autres seront battus à morts sur les Grands Boulevards et dans différents quartiers. A Saint Michel, les policiers jetteront à la Seine les corps de nombreux Algériens. Le nombre des morts ne sera jamais véritablement établi.

Inscriptions sur un pont Parisien

Comme on pouvait s’y attendre, ce massacre ne sera pas reconnu de suite par l’état français. Pire, il sera même longtemps absent des manuels scolaires. Heureusement, certains artistes se savent investis d’un devoir de mémoire et de transmission. 

Le rap comme garant de la mémoire

En effet, plusieurs rappeurs ont fait allusion à cette journée tristement historique dans leurs textes. Que ce soit Lino dans « La marseillaise » ( La fraternité dort dans la seine depuis Octobre 61…). Ou encore Fianso sur le titre « Bois d’argent » ( Frère, le pardon s’est noyé une soirée d’octobre 61…). Évidemment, un groupe aussi engagé que La Rumeur ne pouvait pas passer cet événement sous silence. Ils y font référence dans le morceau « On m’a demandé d’oublier » ( de pogromes en plein Paris, de rafles à la benne. Et ce 17 Octobre 61 qui croupit au fond de la Seine)… Mais il existe aussi un discours extrait d’un concert du groupe sur le projet (CD + DVD) « La rumeur 1997-2007: Les inédits ».

Mais nous nous focaliserons sur un titre entièrement dédié à cette date du 17/10/1961: « 17 Octobre » de Médine.

Étant donné qu’il est le rappeur engagé par excellence, certaines personnes le cataloguaient comme un rappeur extrémiste au vu de son coté protestataire et de tout ce qu’il dénonce. D’ailleurs, au passage, l’excellent documentaire vidéo du Youtubeur Le rap en mieux, montre comment il a su faire évoluer sa musique de manière à rester engagé sans être stigmatisé.

Revenons donc sur « 17 Octobre », extrait du 10 titres « Table d’écoute » dont la sortie date de 2008. La prod de Proof ,beatmaker et ingé attitré du label Din Records, pose cette ambiance glaçante qui sublime le récit du rappeur du Havre. Effectivement, celui ci livre un story telling détaillé et immersif permettant de se mettre dans la peau de Ahmed. Cet Algérien se voit contraint de quitter sa terre natale ravagée par la guerre afin d’aller chercher du travail et donc de l’argent en allant œuvrer dans les usines Renault ou Peugeot comme nombre de ses compatriotes.

Story telling hyper réaliste

Médine raconte ainsi son arrivée en France puis en Région parisienne. Un périple qui se termine par son arrivée dans les bidonvilles de Nanterre. Il continue par relater et décrire froidement les exactions et les mauvais traitements dont sont victimes les immigrés. Son récit prend en véracité grâce à l’utilisation de termes comme « les rats ou ratons », surnoms donnés aux maghrébins. Il n’hésite pas non plus à citer Maurice Papon, dont la culpabilité dans le massacre du 17/10/61 ne peut être remise en cause.

 » Nous allons voir si les rats savent nager… Au fond de la Seine, vous ne pourrez plus vous venger… »

Médine – « 17 Octobre »

Le troisième et dernier couplet de ce morceau relate de façon incroyablement réaliste ce qu’il s’est passé en cette nuit froide. La voix grave et caverneuse de Médine donne encore plus d’ampleur à l’horreur qu’il détaille en rapportant les propos abjectes tenus par les policiers envers les manifestants. Ces manifestants que l’on a battu à morts et jetés dans la seine. Ces corps noyés dans les eaux parisiennes tout comme ces événements que l’on a tenté de noyer dans l’ignorance collective. 

« …le fleuve glacial, un bucher chaud pour mon sacrifice. Monsieur Papon a jugé bon de nous noyer. Aucun pompier pour étouffer le foyer… »

Médine – « 17 Octobre »
Devoir de mémoire et de transmission

Heureusement, Médine , avec « 17 Octobre », accomplit son devoir de mémoire. Le but n’étant pas d’incriminer ou d’introduire un sentiment de culpabilité chez qui que ce soit. L’objectif est de réhabiliter ces événements laissés aux oubliettes et de remplir la mission des historiens et autres livres d’histoire.

Alors, certes le rap évolue et est de moins en moins conscient ou engagé. Mais il demeure important qu’une partie des artistes restent dans cette mouvance afin de défendre certaines valeurs attachées à la culture hip hop telle que la liberté d’expression. Il y a encore des artistes et des titres dans cette mouvance. Et même si ils ne sont pas récents, ils sont accessibles grâce aux plateformes de streaming. De ce fait, aucune excuse n’est possible pour passer à côté de ces titres. Indiscutablement, « 17 Octobre » de Médine est de ces morceaux qui ont un sens: le devoir de mémoire. Au point de se voir citer dans les manuels scolaires. Mission accomplie !

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