Le rap dit « conscient » a laisser sa place ces dernières années à quelque chose de nettement moins engagé. « Qui peut prétendre faire du rap sans prendre position? » scandait pourtant Calbo en 98 sur le classique « Boxe avec les mots ». Un gimmick devenu symbolique pour toute une génération d’auditeurs et de rappeurs. On peut se demander si cela ne devrait pas être encore le cas en 2021 lorsque l’on constate par exemple la montée en flèche de candidats aux idées extrêmes. Mais plus personne ne se mouille. Il y a pourtant une époque où les rappeurs avaient des problèmes avec la justice, ce qui questionnait à juste titre sur leur liberté d’expression.
Ce que les médias nomment « musique urbaine » englobe aujourd’hui le rap et ce qu’on lui assimile. Comme tout le monde le sait, c’est le style musical le plus écouté en France. Inéluctablement, le genre s’est épuré lyricalement parlant. Les propos engagé socialement et politiquement qui étaient l’essence du rap des années 90/2000 ont laissé place à des textes plus lisses et plus axés sur le divertissement que la prise de position.
Alors même si le rap est initialement une musique de club qui est basé sur le divertissement et le partage de certaines valeurs morales (peace, love and unity), le fait qu’il soit d’abord pratiqué par les jeunes vivant dans les quartiers défavorisés à vite recentré les textes vers plus de revendications. Ces rappeurs se sont servis de ce haut parleur pour faire passer des messages et faire entendre leurs voix. C’est sur cette base que certains groupes mythiques tels que NTM ou Assassin ont bâtis leurs carrières. Les Marseillais d’IAM ont aussi combattu fermement la montée de l’extrême droite dans le sud de la France durant les années 90’s.
Ce ne sont pas les seuls: nombres de leurs successeurs ont vu leur liberté d’expression bafouée. Plusieurs d’entre eux ont eu des problèmes avec la justice suite à des textes contenant des propos polémiques.
Ministère Amer:
En 1992, le groupe de Sarcelles a eu des soucis par rapport à l’album « Pourquoi tant de haine? ». Le ministère de la justice, alors représenté par Charles Pasqua, portera plainte contre le groupe du Val d’Oise à cause de propos tenus dans 2 morceaux de l’album:
« Brigitte ,femme de flic », tout d’abord.
Propos retenus: « Aucune force d’état ne peut stopper une chienne en rut. Surtout pas quand c’est la putain d’fille d’une brute. C’est-à-dire d’un flic de pute »
Autre morceau concerné : « Garde a vue »
Propos retenus: « Un commissaire à face d’Hitler se vénère, ça dégénère. La garde à vue sent la bavure policière »
Finalement, la plainte déposée par Charles Pasqua n’aboutira pas! En tout cas, cette fois ci. Car en1995, suite au titre « Sacrifice de poulets » présent sur la BO du film « La haine », le groupe écopera devant les tribunaux d’une amende de 250000 francs.
Les propos en cause: « Pas de paix sans que les poulets ne reposent en paix, est-ce que tu le sais ? Sacrifions les poulets ! ».
NTM:
Les 2 membres du groupe de St Denis ne sont pas connus pour leur affection envers les forces de l’ordre. Lors d’un concert organisé le 14/07/95 par SOS racisme, Joey Starr balance à la foule: « Nique ta mère, je nique la police, j’encule et je pisse sur la justice…. Les fascistes ne sont pas qu’à Toulon, ils sont en général par trois, ils sont habillés en bleu… «
Les policiers présents pour la sécurité décident de porter plainte. Résultat: 50000 francs d’amende et 2 mois de prison avec sursis.
La rumeur:
Le groupe La Rumeur est un symbole du rap engagé. Les rappeurs du XIII ème distribuaient un fanzine avec leur album « L’ombre sur la mesure ». Dans celui ci, Hamé écrivait un paragraphe polémique. « Les rapports du ministère de l’intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété. ». Ou encore « La justice pour les jeunes assassinés par la police disparaît sous le colosse slogan médiatique « Touche pas à mon pote ! »
Le ministère de l’intérieur, dirigé par Nicolas Sarkozy, portera plainte. L’affaire traînera de juridiction en juridiction durant 8ans avant que le groupe ne se voit relaxé.
Sniper:
Le groupe Sniper n’est pas forcément connu du grand public pour être un des groupes les engagés. Néanmoins, les 3 artistes de Deuil la Barre n’avaient pas leur langue dans leur poche quand il s’agissait d’être militants. Nicolas Sarkozy, encore lui, poursuivra le groupe Sniper suite au titre « La France » extrait de l’album « Du rire aux larmes ».
Les propos retenus: « On n’est pas dupes, en plus on est tous chauds, pour mission exterminer les ministres et les fachos »
Au final, le groupe ne sera pas condamné.
Monsieur R:
Le rappeur du Ménage à 3 se verra également poursuivre pour son titre « Fransse » issu de « Politikment inkorrekt » mais ne sera lui non plus pas condamné.
Propos retenus: « La France est une de ces putes de mères qui t’a enfanté » et « je pisse sur Napoléon et le général de Gaulle ».
Youssoupha:
Eric Zemmour, qui se permettra un jour de dire que le rap est une sous culture pratiquée par des analphabètes. Bel esprit… Il portera plainte contre l’auteur de « Sur les chemins du retour » pour menaces de mort à cause de propos tenus dans le morceau « À force de le dire ».
Les propos en question: « … chaque fois que ça pète on dit que c’est nous. Je mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d’Eric Zemmour. »
Youssoupha d’abord condamné se verra innocenté en appel!
Le combat ne continue pas…
On pourra qualifier la suite de cet article de discours de « vieux con ». Mais il est triste de constater que la majorité des rappeurs actuels ne prennent plus position par rapport à certains faits d’actualité. En effet, ces derniers mois ont été pavés d’évènements se rapprochant de violences policières. Combien de morceaux traitants du sujets sont sortis? Peu… On peut malgré tout saluer certaines initiatives comme la sortie de la compilation « Coulez mes larmes, dit le policier » par le label Mauvais Sang au mois de Juin dernier.
On a vu des personnalités médiatiques (suivez mon regard..) dont les idées se rapprochent très dangereusement de celles de l’extrême droite se placer pour la course aux élections présidentielles. Combien de rappeurs ont pris position pour faire barrage? Encore une fois, très peu… Pire, on a même vu dans une émission de télé très regardée, un jeune homme se disant rappeur être en accord avec les idées de ces mêmes personnes. Mais on vit a une autre époque, il doit y avoir donc d’autres mœurs…
Compte tenu de la popularité des rappeurs d’aujourd’hui et donc de la médiatisation dont ils bénéficient, on ne peut que regretter qu’ils n’utilisent pas plus leur visibilité pour prendre position et s’insurger devant les faits de société allant à l’encontre de leurs communautés voir de l’intérêt publique. D’ailleurs, certains vous diront que ce n’est pas leur rôle. Malheureusement, c’est là que se situe la différence entre les générations d’auditeurs. Quand pour certains, le rap est juste un genre musical, pour d’autres, c’est une culture. Une culture dans laquelle les rappeurs se battent pour la justice et la liberté d’expression.
Pour terminer, on vous conseille de regarder l’excellent série documentaire « Quand le rap est engagé » disponible sur YouTube.
4 réponses sur « Rappeurs, justice et liberté d’expression »
[…] effet, à la fin des années 90, le rap est souvent engagé. Le rap conscient est presque la norme que ce soit avec la rage du “combat continue” […]
[…] d’Arsenik est un véritable leitmotive. En effet, il ne conçoit vraisemblablement pas de “faire du rap sans prendre position”. Tout au long de cet EP, il n’a de cesse de critiquer ceux qui nous gouvernent, de dénoncer les […]
[…] d’être le porte-parole de ceux qu’on n’écoute pas. Ainsi, à défaut d’être constamment conscient (en réalité il l’est bien moins que ce que l’on pourrait croire) le rap est une musique qui […]
[…] l’Hexagone. Le racisme, la stigmatisation des enfants d’immigrés, la ghettoïsation sont des sujets récurrents. Le titre phare de NTM, « Le Monde de demain » issu de son premier, illustre ces problématiques […]