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Doc Gyneco – « Première consultation »: Variet’ west coast

Parmi les grands classiques que compte le rap français, peu ont autant créé la polémique et divisé que l’album dont on va vous parler ici. Un album sorti de l’imaginaire d’un des premiers « sale gosse » du rap français et qui relie le mieux l’art du bitume à la française et l’ambiance G-Funk digne d’Aftermath. Vous l’aurez bien compris, aujourd’hui on s’attarde sur Première Consultation, le premier album studio de Doc Gyneco.

Le secteur Ä a toujours intrigué par son casting aussi dingue que riche en talents. Les prémices du collectif commencent avec Ministère A.M.E.R qui sortent deux excellents albums, Pourquoi tant de haine (1992) et 95200 (1994), qui ne rencontre pas un succès commercial important. Opérant dans l’underground, le collectif a néanmoins éveillé l’intérêt de nos grands frères les diggers.

Le secteur ä
Un game changer quelque peu original

En 1996, un album du collectif vient secouer le paysage du rap français. Remballez vos discours moralisateurs, votre sens de la rime ou votre ambition d’être un assassin des prod’. on est dans un album qui emmerde les codes. Si Virgin et le Secteur Ä craignaient un four retentissant en aidant à l’élaboration de l’album, ils ont très vite compris que leur choix aura été le bon.

Le 15 février 1996 sort Première Consultation de Doc Gyneco. Le projet est marketé de la meilleure des manières. Le Doc est un personnage lent, souvent méprisable tant il porte si peu d’intérêt à la musique qu’il fait. Il ne véhicule que les vices du sexe ou de la drogue. Le rap de Doc Gyneco apparaît en contradiction avec celui de l’époque qui marchait le mieux, qui revendiquait.

Pochette de Première consultation

Mais au-delà de ce coup de com’ de génie, ce qui intrigue les passionnés, c’est bien évidemment la méthode de production du projet. En interview, notre cher Bruno Beausir disait juste vouloir prendre des vacances gratis en Californie. La réalité peut sembler être tout autre. Première Consultation a été confectionné pendant un an. Une année passé par le Doc et son équipe à s’instruire et à comprendre la musique west coast californienne de l’époque. Ces inspirations viennent principalement du label Aftermath, de Dr. Dre à Snoop Dogg avec son classique, Doggystyle, l’univers du groupe Dogg Pound, mais on peut aussi citer les groupes comme Twinz à The Dove Shack.

Doc Gyneco propose un album qui a différents impacts sur le public français. En plus d’un succès critique et commercial absolument dantesque (plus d’un millions d’exemplaires vendus), il est souvent considéré comme un des albums les plus importants de cette période en France. En effet, il a démontré que le rap peut conserver un intérêt musical absolu tout en se détachant de codes et de préjugés que les media s’efforçaient à véhiculer. Rajoutons à ça un personnage volontairement désinvolte, et on obtient un des très grands classiques du genre.

Tracklist « Première consultation »
Les caprices d’un génie

Première Consultation n’a clairement pas volé son titre de classique. L’album transpire une atmosphère chaude, chaleureuse, souvent même contemplative et même parfois cartoonesque. Le travail de production est incroyable. Mais ça n’a en fait rien d’étonnant. L’album a été joué en direct live, d’où la pureté, la clarté des instruments utilisés pour les prods. Une basse puissante en fond, un synthé qui rendrait nostalgique n’importe quel puriste trop attaché à une époque lointaine, et surtout, un Doc totalement fou dans sa technique.

Dans ce premier opus, le Doc n’a pas envie de prendre la place d’assistant social. Ce n’est de toute façon pas le but. Tout égocentrique qu’il est, il décide d’aborder une seule thématique : lui-même. Il se montre constamment comme étant détaché du thème qu’il aborde. Comme si il voulait démontrer une sorte de supériorité par rapport au reste de l’industrie.

Entendre le Doc rapper est un délice absolument dingue. Sur son titre (et entre nous, son meilleur son) « Nirvana » le Doc réalise une prouesse. Celle de parler d’un sujet si complexe que le suicide avec un tel désintérêt qu’il se dégage presque un côté fun du titre. Ce côté détaché, sans aucune conscience de ce qu’il raconte rajoute un aspect véritablement dramatique. Il parvient tout de même à conserver sa direction artistique qui de s’affranchir des codes du rap de l’époque.

Le rap dans toute sa variété

Dans « Classez moi dans la variet’ » on pourrait limite parler de foreshadowing, tant le Doc a prédit avec perfection l’absurdité aberrante de toujours vouloir (mal) catégoriser la musique. Crachant allégrement sur les États-Unis, le Doc ne lésinera pas sur l’arrogance à l’état pur.

Néanmoins, l’album permet de mieux connaître la vie du Doc. « Dans Ma Rue », il décrit son milieu de vie avec une telle ironie, qu’on en oublierait presque la misère de ceux qui y vivent. Mais encore une fois, l’heure n’est pas à montrer des signes de faiblesses. Mais bien de montrer l’orgueil (mal placé) à l’état brut sur une heure de musique.

Cela étant dit, même dans sa technique, le Doc se dresse comme un mec lent et stone du matin au soir. Par exemple sur l’incroyable « Est-ce Que ça Le Fait? » avec Passi. Prétendre comprendre et anticiper les placements du Doc sur ce son relèverait de la mauvaise foi. Il y étire au maximum ses couplets. Retombant souvent rapidement, parfois lentement, passer du chant au rap et inversement tout ça pour suivre un refrain dont il semble n’avoir rien à y faire.

Tout est fait pour nous montrer que le Doc est ce gamin capricieux, chiant au possible mais qu’on laisse tout faire. Pourquo i? Parce que son immense talent n’a d’égal que son taux de THC dans le sang. Allant d’un rap plus traditionnel à un hit digne du meilleur Snoop Dogg à son prime en passant par de la variété remplie d’énergie, l’album ne cessera de surprendre. Et surtout, il rendra justice à la folle imagination du Doc.

Le docteur de ses dames

Doc Gyneco c’est aussi est surtout un lover. Des rimes bien salaces aux mœurs douteuses, on ne présente plus un (autre) grand classique qu’est « Vanessa ». Si sur le papier, une chanson dédiée à Vanessa Paradis pourrait presque être mignon et innocent, dans les faits ce n’est pas la même chose. Une des musiques du rap français les plus crades et les plus salaces de son époque.

Sur Première consultation, Doc Gyneco emmerde la mort, il emmerde l’industrie et n’a d’amour et de respect que pour son chez-soi et le secteur. Il montre surtout un goût presque malsain pour la gent féminine. Le refrain du morceau le prouve bien. Une chanson dédiée à Vanessa Paradis où la principale line sera « j’veux une tass-pé », tout est dit. Et même dans des sons aux allures d’Usher qui se serait rangé avec sa bien aimé, « les filles du moove ». Un titre où le Doc explique avec amusement et sérénité tout le ridicule des filles qu’il côtoie.

« …toc toc toc, quoi de neuf doc’ ? Doc Doc Doc, suis-je en cloc’ ? enfin, tu vas toucher des allocs’…! »

Les filles du move

Dans ce registre de player obsédé, il faut évidemment mentionner le premier single de cet opus, « Viens voir le docteur ». Propos très politiquement incorrects, jeu de mots salaces, instru terriblement West Coast… En bref, c’est tout le concept Doc Gyneco qui est réuni en un seul morceau.

Parmi les plus grands

Il est aujourd’hui important de clarifier les choses. Oui Première Consultation de Doc Gyneco fait parti du panthéon des grands albums du rap français. Il est à mettre sans rougir aux côtés d’albums comme Opéra Puccino, L’école du micro d’argent ou encore Mauvais Œil. Tout est fait pour que l’album s’annonce comme tel. Et si la carrière du Doc ne sera pas aussi brillante qu’elle aurait dû, tout ce qu’il a fait pour cet art et pour le secteur n’est pas à négliger. Enfin ça, tout le monde le sait, mais lui s’en fout très certainement. Après tout, c’est ça la vie d’un sale gosse.

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