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Casey – Tragédie d’une trajectoire: quand le rap cotoie le désespoir

Il existe de ces albums qui nous prennent aux trips. Ces albums qui dégagent une telle sincérité qu’il nous ait impossible de rester en dehors. Et évidemment, grâce sa caractéristique évocatrice, le rap en est rempli. On pense naturellement à la carrière d’Ali ou aux travaux de Shurik’n. Mais il serait dommage d’en oublier un des grands classiques du style. Un disque souvent considéré comme l’un des albums les plus puissants et les plus froids jamais conçu chez nous. Laissez nous vous parler de « Tragédie d’une Trajectoire » de Casey.

Le cas de Tragédie d’une trajectoire est assez particulier. Pour comprendre toute l’intensité qui émane du projet il faut avant tout y poser un contexte. Aujourd’hui il est assez admis que le rap est une musique purement commerciale. Il faut néanmoins se rappeler que ça n’a pas toujours été le cas.

Le rap est-il un art politique ?

Avant d’être une musique vendeuse qui passe en radio, le rap était considéré comme un sous-genre. Méprisé par les medias, il y avait en effet peu d’espoir d’y gagner sa vie. Aux Etats-Unis, terre mère de l’art de rue, on peut grossièrement et vulgairement dire que le rap est né dans le Bronx dans les années 70. Dans un contexte où les quartiers pauvres, les Ghettos ont décidé de créer leurs propres cultures. Son évolution ne nous intéresse pas plus que ça ici. Ce qui est important de savoir c’est que la naissance même du genre est, comme souvent, né à la suite d’un contexte politique assez marqué. Et bien évidemment, la France a conservé cet héritage pour le traduire à sa manière.

Des morceaux comme « Petit Frère », « Qu’est-ce qu’on attend » ou même des albums entiers comme « Le Combat Continue » du groupe Ideal J semblent vouloir respecter cette tradition de musique « coup de gueule ». On vidait alors ses trips sur un 16 bien trempé, produit avec haine et passion. Le rap a bien entendu su marquer aussi des horizons beaucoup plus festifs. Mais il l’a toujours fait dans l’optique d’être le porte-parole de ceux qu’on n’écoute pas. Ainsi, à défaut d’être constamment conscient (en réalité il l’est bien moins que ce que l’on pourrait croire) le rap est une musique qui sert à une chose. Celle de permettre à n’importe qui d’exprimer ce qu’il ressent
qu’importe son statut social, son âge ou son genre. Et c’est en réalité applicable à toutes formes d’art qui se respectent.

En réalité, beaucoup pensent qu’intrinsèquement au médium, l’art est politique. Et ce parce qu’il retranscrit les idéologies ainsi que les opinions
personnelles d’un individu sous une forme quelconque. En effet, le rap est un art ouvert à tous, où chacun s’exprime à sa manière et a toujours eu comme vocation d’être respecté de tous.

Enfin, comme tout art, on a ce principe important d’héritage. Certains pensent d’ailleurs que l’art est un tout. Rien ne se crée, tout se transforme. Les plus grands classiques de chaque medium ne sont en fait que la résultante de milliers d’influences digérés consciemment ou non. De fait, l’héritage dans le rap peut aussi passer par cette envie de représenter les plus faibles, les plus démunies qui n’ont pas la chance d’être entendu. Qu’importe le sous genre, de la trap d’Atlanta jusqu’à l’abstract en passant par le cloud rap français, le rap est politique. Il se manifeste de différentes manières au fil des années, et se doit d’être ouvert à tous.

La voix d’une impératrice

Pour revenir à notre sujet, Casey est une rappeuse reconnue par tous comme l’une des celles qui a le mieux digéré cet héritage. À une époque où le manque de culture semble être gage de qualité, il est assez aberrant d’entendre des discours comme « les femmes n’ont rien à faire dans le rap ». Si on accepte que le rap soit politique, alors de fait cette idée s’avère fausse et témoigne d’un sexisme assez inquiétant.

Casey a donc , à la manière d’une Lauryn Hill ou d’une Lady Of Rage aux Etats-Unis, su se hisser aux côtés des plus grands grâce à sa musique. Occulter la présence des femmes dans un art revient à occulter tout une partie de la culture qui a construit celle qu’on connaît aujourd’hui. « Tragédie d’une Trajectoire » de Casey est un classique absolu. C’est même un immanquable, un incontournable pour tout néophyte qui aimerait comprendre la magie du rap.

Casey sort donc « Tragédie d’une Trajectoire » le 27 novembre 2006. Un album de 12 titres dont quelques feats, tels que Prodige, Ekoué ou B.James. Si cet album a gagné un statut de classique ce n’est pas pour rien. En réalité, ce projet n’est ni plus ni moins que 54 minutes de punchline d’une artiste torturée qui en veut au monde. L’album commence avec le titre éponyme et on rentre tout de suite dans le bain. Introduire le son avec « Cette belle insouciance de l’enfance, Qui plus tard laisse place à la sagesse, Je l’ai pas connue, je suis Noire, né en France » est plus qu’ingénieux. Effectivement, cette phase recense toutes les problématiques de l’album.

Casey est une personne qui a toujours eu à cœur de dénoncer les problèmes que rencontrent la société. Mais là où elle se démarque des autres, c’est dans le ton qu’elle utilise : le désespoir. On ressent une tragédie, une tristesse infinie d’être face à un problème insurmontable. Toujours dans le même son, lorsque Casey dit « J’ai sorti les ciseaux de ma
trousse avec la frousse, ai l’intention de leur faire mal à la sortie de la classe » 
, on comprend mieux ce détachement. L’artiste a traversé l’enfer depuis sa plus tendre jeunesse et cet album en est la parfaite synthèse.

Sur « Tragédie d’une trajectoire », Casey déborde d’une énergie sombre. On y ressent toute sa colère face à un système pourri qui a voulu la détruire. Cette haine viscérale pour l’autre est palpable dans des sons comme dans l’incroyable « Une lame dans ma veste », véritable hymne à la violence avec un premier couplet qui suinte la violence. Les Titres « Qui sont-ils ? » ou encore « Ma Haine » représente à merveille l’imagerie du projet.


Véritable bande-son d’une œuvre anarchiste et dystopique, « Tragédie d’une trajectoire » est un opus qui ne laisse aucun répit. Entendre la rage d’une artiste qui a souffert toute sa vie est aussi jouissif dans la forme que terriblement frustrant dans le fond. Casey semble vouloir se
dresser contre l’état avec des paroles fortes et, malheureusement, toujours d’actualité aujourd’hui. Enfin, un des rares sons qui peut apporter une touche d’espoir serait le titre « Suis ma plume ». Ici, on ressent cette envie de poursuivre un certain héritage. Dans ce son, la rappeuse du Blanc Mesnil semble vouloir crier au monde que le rap est un art avec un grand A, et que la plume qui lui sert pour écrire ses paroles peut s’apparenter à un diplôme.

Finalement, l’album est un projet coup de poing. On n’en sort jamais vraiment indemne tant la proposition est forte et évocatrice. Avec « Tragédie d’une Trajectoire », Casey signe un monument du genre. Juste parce qu’il a compris son média. Aujourd’hui avec la facilité d’accès à la culture, on vous recommande plus que jamais de vous plonger dans cet univers crade et obscure. L’album est intemporel, et sans aucun doute l’un des meilleurs du rap francophone. Bien entendu, il était de notre devoir de perpétuer son héritage à travers nos écrits. Casey est et restera à jamais l’impératrice du rap, et comme celle qui nous aura donner l’album rap le plus émouvant et sincère de l’histoire. Une dictature absolue.

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