Avec l’actualité politique, nous avons choisi de relancer le débat sur les rapports entre le monde du rap et l’extrême droite. Malgré une certaine « dépolitisation » de ce courant musical, un rappeur doit-il forcément être contre l’extrême droite? Les artistes doivent-ils se position et s’exprimer vis à vis de la montée du Rassemblement National (Front National) ? Quelqu’un se revendiquant comme amoureux de rap peut-il partager les valeurs de candidats comme Marine Le Pen ou Éric Zemmour ? Pour nous les réponses respectives à ces questions sont évidemment oui, oui et non. Explications.
Historiquement, le rap et plus généralement le hip hop est un mouvement engagé socialement et politiquement. Né dans les milieux défavorisés et initialement pratiqué par des personnes issues des banlieues, le rap français et ses acteurs portaient un discours à l’encontre des idées très à droite.
Entre 97 et 2002, le Front National obtient des résultats significatifs lors des élections. En haut-parleur d’une jeunesse française multiculturelle et porteur des valeurs du hip hop, le rap français a pris ce rôle d’être en opposition frontale avec l’extrême droite et les idées qui contaminent la politique. L’une des figures de proue est le morceau 11’30 contre les lois racistes, sortie en 1997, qui a marqué l’époque. À la fin des années 90, les rappeurs marseillais sont particulièrement virulents contre le Front National qui a décrochés plusieurs mairies du Sud. On peut citer des événements marquants comme l’assassinat du jeune Ibrahim par des colleurs d’affiches du FN, qui ont fédéré cette scène contre ce parti raciste et xénophobe. En 1998, le rappeur Faf La Rage explique que sa manière de faire du rap est une manière de se positionner contre le FN.
Qui peut prétendre faire du rap sans prendre position ?
A l’époque, les artistes ne se contentaient pas seulement de prendre position sur disques. Les prises de paroles dans les médias étaient courantes et l’engagement fort. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, ils possèdent encore plus de canaux pour diffuser leurs prises de position. Pourtant, elles se font très rares parmi les rappeurs mainstream qui ont une grande fan base. Cette neutralité cacherait-elle une peur de se prononcer ? Ou juste un désintérêt pur et simple sur le sujet politique ? Il est vrai qu’avec l’importance commerciale qu’a prit le rap, la défense des valeurs du hip hop est beaucoup moins présente. Mais on a assiste parfois a quelques surprises. Koba LaD ne semble pas à première vue le plus engagé. Pourtant, ces derniers jours, il a appelé sur ces réseaux sociaux, à voter Emmanuel Macron pour faire barrage Marine Le Pen. Un geste inédit, à saluer.
A contrario, Booba qui auparavant, manifestait volontairement sa haine contre les politiciens racistes, a publiquement admis être en accord avec certaines idées d’Eric Zemmour. Un faux pas qui vient encore ternir la fin de carrière controversée de celui que beaucoup estiment être le plus grand rappeur de l’histoire de notre pays.
On peut encore trouver des traces de prises de position cohérentes avec l’état d’esprit originel du rap. Mais il faut souvent se tourner vers des pratiquants historiques de cet art. Sako a par exemple, durant cette campagne présidentielle, ouvertement soutenu Jean-Luc Mélenchon. Il a également sorti un titre avec Brav dans lequel il combat les idées de droite.
Kery James, comme à son habitude, s’est fendu d’un morceau engagé et anti fascistes. Intitulé « Marianne », il y vise directement les idées du leader du parti Reconquête.
Citons aussi Médine, qui en utilisateur averti des réseaux sociaux, ne se gêne pas pour donner son avis et se positionner. Entre un titre justement nommé « Médine France », des freestyles vidéos engagés ou une interview pour Mediapart, le Havrais ne se cache pas.
Mais il y a pire que le manque d’engagement de certains. On a assisté récemment à l’arrivée de rappeurs identitaires. On ne vous donnera pas de noms tant il est inconcevable d’offrir la moindre visibilité à ces artistes. Leur existence est une aberration. Cela devrait révolter chaque amoureux de rap et témoigne de la récupération de notre culture. Accepterons nous la sortie d’une compilation de rap nommée Sachons dire oui ou 10’52 pour le racisme et l’intolérance ? Bien évidemment non ! Il est clair que pour nous, les rappeurs devraient être les premiers messagers de la culture rap et de ses valeurs. Et par conséquent, ils devraient continuer à se battre contre l’extrême droite. Mais aussi profiter de leur notoriété pour mobiliser la jeunesse face aux idéologies extrêmes et racistes.
Le rap: produit de consommation ou véritable culture ?
En réalité, la question de la position du monde du rap par rapport à l’extrême droite n’a pas eu lieu d’être durant deux décennies. Ce n’est que depuis le retour de cette musique au sommet des charts que le débat se pose. Enfin du moins, chez certaines personnes. En effet, depuis quelques années, le rap mainstream est devenu une musique de club. Une musique où le divertissement a pris le pas sur la conscience. De la forme mais très peu de fond.
Cette mutation a favorisé le fait que le rap devienne « la musique à la mode ». Par définition, si une musique est à la mode, elle devient écoutée par de plus en plus de personnes. Et donc de plus en plus de jeunes qui en sont les principaux consommateurs. Beaucoup de ces jeunes auditeurs ont donc découvert le rap sous sa nouvelle forme sans avoir découvert la culture qui va avec.
De plus, ce nouveau public qui a accès à la musique bien plus facilement qu’avant est issue de classes sociales diverses. Et qui dit classes sociales différentes dit opinions politiques différentes. On pourrait donc dire que ce nouveau rap a accouché d’un nouveau public. Et les préoccupations de ce dernier sont plutôt éloignés de celles de la jeunesse qui a vécu les 15 premières années du rap hexagonal. Pour le nouvel auditoire, le rap est seulement une musique comme une autre. Alors que pour ceux qui ont connu ses premières heures, c’est une culture à part entière. Une culture dont les premiers activistes faisaient partis des minorités aujourd’hui stigmatisés par l’extrême droite. Il est donc normal que ceux qui ont fait ou qui aiment cette culture crient à l’appropriation lorsque ce mouvement est rattrapé par des gens qui ne défendent aucune des valeurs originelles du hip hop.
L’équation est simple. Si une personne écoute du rap mais partage des idées très à droite, c’est qu’elle écoute juste du rap comme elle écouterait toute autre musique. Si elle s’intéresse à la culture Hip Hop, à son histoire et partage ses valeurs, alors les idées portées par Le Pen ou Zemmour ne pourront pas lui plaire. C’est aussi simple que cela.
Bien sûr, chacun a le droit d’avoir ses propres idées et orientations politiques. C’est même une des bases de notre société. Toute personne est également libre d’écouter ce qu’elle veut. Par contre, en ce qui concerne le rap, on ne peut accepter que certains viennent y introduire des idées d’extrême droite que cette musique a historiquement combattu. Ne serait ce que par respect pour les activistes grâce a qui elle est ce qu’elle est aujourd’hui.
Et si pour être sûrs, que ceux qui se revendiquent comme « fans » de rap en partagent les valeurs et soient par définition opposés à l’extrême droite, il faut continuer à éduquer les jeunes auditeurs, alors nous le feront. Parce qu’il faut savoir dire Non au racisme et à la xénophobie ! Parce que le combat continue ! Et surtout parce que c’est plus qu’une musique, c’est une culture!
Une réponse sur « Rap et extrême droite: incompatibilité culturelle »
[…] à un/une artiste rap. Elle garde sa belle plume et une technique sûre. De plus, elle se montre engagée politiquement. Même si le rendu peut parfois sembler lisse, elle ne se cache pas. Et par conséquent, elle […]