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Les 25 ans de 11’30 contre les lois racistes

Il y a 25 ans, un disque hors norme sortait dans les bacs. 11’30 contre les lois racistes marque le rap français dit conscient. Une véritable prise de position de la part de beaucoup d’acteurs du rap game de l’époque. Retour sur un disque comme on en reverra (malheureusement) que très peu. 

Nous sommes fin mars et la campagne présidentielle bat son plein. Les programmes remplis d’idées et de propositions à droite, voire très à droite fleurissent. Deux candidats d’extrême droite font parti du top 4 dans les sondages. Et même les candidats de droite leur piquent leurs mauvaises idées. Par conséquent, une odeur latente de racisme flotte sur l’Hexagone. On nous propose ici et là des changements de prénoms, la déchéance de nationalité ou l’immigration zéro. La stigmatisation des étrangers et des jeunes banlieusards est devenue un des argument de campagne les plus répandus. L’amalgame entre Islam et insécurité est dans presque tous ces programmes électoraux de droite. Et malgré cela, peu de représentants de la jeunesse semblent s’en insurger ouvertement. 

Qui peut prétendre faire du rap sans prendre position ?

Les rappeurs francophones, au vu de l’audience dont ils bénéficient, pourraient assumer ce rôle de haut parleur. Mais le rap est devenu, en ce qui concerne le mainstream, une musique de divertissement. Les revendications sociales et politiques ont été reléguées bien loin au classement des thèmes abordés dans les morceaux de rap. 

Le fameux “Qui peut prétendre faire du rap sans prendre position ?” est devenu une phase vintage. Et c’est bien dommage, car il y aurait sûrement à faire avec l’actualité politique actuelle. Et même sur des faits divers, on a vu que trop peu d’artistes prendre position. Combien d’entre eux ont élevé la voix contre les violences policières ? Pas assez ! A une époque où internet a réduit les distances et favoriser la communication, il serait même facile pour des rappeurs de collaborer et de manifester ensemble leur avis et leur conscience. Et si jamais, nos rappeurs avaient besoin d’un exemple, ils peuvent poser une oreille sur un disque sorti il y a 25 ans. 11’30 contre les lois racistes est le modèle parfait. En effet, le disque représente exactement ce que le monde du rap français pourrait proposer si la forme n’avait pas pris le pas sur le fond. 

Le rap français se mobilise

En 1997, une partie de l’opinion se soulève contre les lois Debré, prolongement des lois Pasqua proposées par ces deux ministres qui durcissent le statut de l’immigration en France. Sur une idée de Jean-François Richet (réalisateur de Ma 6-T va crack-er) et du label Cercle Rouge monté par les producteurs White & Spirit, le monde du rap se mobilise et propose un maxi avec un morceau unique de 11 min 30. Le but : rassembler plusieurs rappeurs de la scène hexagonale sur un seul et unique titre sans refrain.

Le morceau bien sûr très revendicatif ne se contente pas de parler de l’immigration et des injustices liées au projet de loi. Les rappeurs élargissent le spectre jusqu’à traiter du racisme au sens large, du malaise des banlieues et du problème de l’ascension sociale. D’ailleurs, les bénéfices issues iront à l’association MIB, le Mouvement de l’Immigration et des Banlieues.

L’instru est typique de ce qui se faisait à la fin des années 90, dépouillée et assez minimaliste. Un style parfait donc pour que chaque artiste au flow bien différent puisse y poser son couplet. Sur cette prod de White & Spirit, c’est un casting 5 étoiles qui défile pour dénoncer sans détours les errements et le manque d’humanité d’un gouvernement et d’un pays qui se dirige un peu trop vers le côté extrême de la droite.

On retrouve ainsi Rockin Squat, AKH et Freeman du groupe IAM, les Soldafada (groupe de Nakk), Menelik ou le Ministère AMER. Mais aussi Fabe, Sleo ou encore Mystik. Chacun des rappeurs y va de son avis sur la situation politique avec des propos sans demi mesures. On pense par exemple à Akhenaton qui n’y va pas de main mortes pour désigner les électeurs du Front National.

“Plus d’excuses, les gens savent très bien pour qui ils votent
52% de fils de putes à Vitrolles une fois pour toutes, c’est clair”

Akhenaton

Et même si tous ces rappeurs sont lucides quant au fait que ce n’est pas un morceau de rap qui fera bouger les choses, ils ont au moins le mérite de s’exprimer. Leur but étant bien sur de proposer une prise de conscience collective. Certains des rappeurs présents comme le rappeur d’Assassin, le membre d’IAM ou celui de la Scred co’ sont connus pour leur engagement. D’ailleurs, Fabe prouve son étiquette de poil à gratter du rap français. IL profite du morceau pour parler d’autres sujets de société comme sa vision du hip hop français. Il tacle en effet les radios “jeunes” de l’époque comme Skyrock qui commence à se orienter sa grille sur le rap.

L’impertinent, celui qui écrit une lettre au Président
Que Skyrock, Fun et NRJ censurent impunément évidemment.

Fabe

Mais les autres n’ont pas peur de dire que si leur vocation première est artistique, ils se doivent de prendre le micro pour dénoncer la montée d’idées d’extrême-droite. Surtout que ce genre d’idéologie ne devrait pas avoir leurs places dans le supposé pays des droits de l’homme. Le morceau se termine avec Stomy Bugsy et Passi qui ressuscitent le Ministère A.M.E.R, l’un des groupes français les plus radicales dans leur prise de position.

Le combat continue ?

11’30 contre les lois racistes est donc représentatif d’une époque où le rap français était un mouvement engagé et revendicatif. Une ère où ses acteurs se sentaient effectivement investis d’une mission. Certains, nous y compris, regrettent évidemment que ce genre de projets ne voient plus ou peu le jour alors qu’il reste encore de nombreuses luttes à mener. L’espoir demeure malgré tout et certains MCs continuent à perdurer cette idée du rap engagé, comme le montre la sortie de 13’12 contre les violences policières sorti en Décembre 2020.

Alors s’il vous plaît Mesdames et Messieurs les artistes, ne lâchez pas l’affaire… Car comme le disait un autre rappeur engagé en 1998, « Le combat continue » !

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