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Les 10 ans de « Fenêtre sur rue » de Hugo TSR

Hugo TSR est présent dans le paysage du rap français depuis maintenant une vingtaine d’années. Adulé par certains auditeurs, moqués par d’autres, il a délivré au cours de sa carrière plusieurs disques de qualité. L’un d’entre eux vient de fêter ses 10 ans ce 5 Novembre 2022. Retour sur Fenêtre sur rue de Hugo TSR.

« C’est bandant d’être indépendant » rappait le DUC de Boulogne. Il n’en demeure pas moins compliqué d’exister dans l’indépendance musicale. Surtout quand on se veut être le représentant d’un certain style de rap francophone. On parle en particulier ici, d’un rap dit « à l’ancienne », très marqué Paris Nord et donc plutôt éloigné des standards adoptés par le rap mainstream depuis environ 15 ans. C’est pourtant le chemin que la figure de proue du TSR Crew a choisi de suivre depuis ses débuts dans le game. Et ce n’est pas avec Fenêtre sur rue sorti en novembre 2012 que Hugo TSR allait déroger à ses principes.

L’héritier de l’école du 18ème

Le rap du 18e arrondissement de la capitale possède une identité propre à laquelle Hugo TSR et sa musique collent parfaitement. La Scred Connexion ou Flynt sont évidemment les premiers noms auxquels on pense lorsque l’on évoque cette école. Puisque l’eurasien à capuche se pose comme héritier de ces artistes, il est facile de saisir l’ADN du rap qu’il pratique. Une technique sûre, un soin particulier apporté à une écriture pleine de multisyllabiques et d’images en tout genre. Le tout porté par des prods aux boucles lancinantes construits autour de samples. Une recette qu’il répète sans cesse depuis son premier album en 2005.

Avec Fenêtre sur rue, Hugo TSR ne délivre pas un album surprenant. Il semble vouloir exploiter sa formule rapologique à fond. En cela, le rappeur du 18 est un « jusqu’au boutiste ». Il a sa propre conception du rap et n’a pas l’air de vouloir s’en écarter. C’est sûrement une des raisons qui l’ont poussé, lui et ses collègues, à choisir la voix de l’indépendance. Il faut donc aller chercher plus loin pour trouver un intérêt nouveau à cette galette. Cela commence par une ouverture au niveau du beatmaking. On retrouve en effet I.N.C.H, Al Tarba ou Art Aknid sur plusieurs tracks (« Points de départ », « Alors dites pas », « Piège à loup » notamment). Sans créer de révolution, cela permet d’apporter une couleur sensiblement différente et aux prods de Hugo TSR qui complète l’album.

Chroniques de la rue… Mais pas que…

Avec le titre de l’album, tiré du film d’Alfred Hitchcock, et la cover, le chef de file du TSR Crew endosse le rôle de reporter et d’observateur de son environnement. Un quotidien décrit comme pas toujours joyeux, et même plutôt sombre. Dans son 18e, toute lueur d’espoir se retrouve aussitôt éteinte par des histoires de « shlagues », de dealer, de patrouilles de police et de détresse sociale. Un tableau peu reluisant que le rappeur dépeint à l’aide de punchlines frappantes et imagées ainsi que de références cinématographiques.

Bien évidemment, Hugo n’oublie pas les bases et se fait un malin plaisir de faire dans l’égotrip ( « Point de départ », « Ugotrip », « Point final » entre autres), une des bases pour tout bon rappeur qui se respecte. Mais le MC du 18 tente aussi sur cet album d’élargir son spectre des thématiques. En-tout-cas, il tente de couvrir des sujets plus vastes, même si ces sujets traités restent relativement commun dans le hip hop francophone. Il aborde par exemple la discrimination et le racisme dans le monde du travail sur « Alors dites pas ». Sur le titre « Eldorado », il s’autorise une petite prise de risque dans lequel il raconte la France d’après-guerre, sa reconstruction et l’épisode de l’édification des grands ensembles HLM.

On peut également évoquer des morceaux comme « Dojo » avec ses références martiales ou « Dégradations », un hommage au graffiti dont l’artiste est un fervent pratiquant. Dans le morceau éponyme, Hugo est cloîtré dans son appartement, à observer le monde extérieur depuis sa fenêtre comme le protagoniste du film Fenêtre sur cour. Contrairement à James Stewart, ce n’est pas son plâtre sur la jambe qui le bloque chez lui, mais une flemme de sortir.

Au delà du périph’

C’est en utilisant une recette cataloguée « rap à l’ancienne », lyrics semi-conscients et aucune mélodie que Hugo TSR continue à fidéliser son public sur Fenêtre sur rue. Malgré un parisianisme évident, celui qui a débuté sous le pseudonyme de Hugo Boss, est devenu le porte-étendard d’un style de rap cher à certains auditeurs qui ne se reconnaissent pas dans l’évolution de cette musique. Et cela dépasse le périphérique. Il est autant écouté dans les rues de Barbès, que sur le parking d’un Auchan à Rouen ou dans la cité Hautepierre à Strasbourg. Une fanbase qui voit aussi en Hugo, un artiste qui porte des valeurs d’un rap qui se meurt.

Son discours touche paradoxalement tout le pays, et son rap a donc rencontré sa cible, loin du mainstream. En fédérant ce public, il a réussi à décrocher plusieurs certifications, malgré son indépendance. Par exemple, Fenêtre sur rue, puisque c’est le projet qui nous intéresse, est devenu disque d’or, même si cela a mis du temps. Il lui a en effet fallu attendre 8 ans pour décrocher la certification dorée. Mais cela demeure une performance notable.

Un statut qui divise

Mais la « formule Hugo TSR » semble également avoir ses limites. Si ses suiveurs sont nombreux, les détracteurs ne sont pas en reste. Ces derniers reprochent notamment au rappeur du 18 de servir la même soupe depuis des années. « Toujours les mêmes prods », « toujours le même flow », « toujours les mêmes lyrics » sont typiquement le genre de phrases à retrouver sur les réseaux sociaux pour qualifier les nouvelles sorties estampillées Hugo TSR. Et 10 ans plus tard, ce n’est pas la réécoute de ce disque qui les fera changer d’avis. Malgré quelques fulgurances, il faut bien avouer qu’une certaine monotonie peut s’installer. Sans aller jusqu’à utiliser le terme « daté », l’album est ancré dans son époque. C’est d’ailleurs probablement ce qui peut en faire un classique pour certains et un disque redondant et vieillissant mal pour les autres.

Si le rappeur/Beatmaker/graffeur a choisi l’indépendance, c’est pour pouvoir affirmer son identité, rester authentique, faire la musique qu’il aime et au final fournir le rap qu’il affectionne à un public qui l’apprécie tout autant. Et tout cela sans avoir à se compromettre. Une mission que Hugo TSR a accompli avec Fenêtre sur rue, malgré les critiques émises par certains, il demeure un excellent album que beaucoup réécouteront avec plaisir.

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