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Akhenaton, le rappeur originel

Le roi, le trône, la couronne sont autant de symboles qui servent à définir l’identité de celui qui domine les autres. Le petit monde du rap français est souvent en train de débattre sur l’identité de son roi, de celui qui est assis sur le trône. Les noms de Booba, Ninho ou bien d’autres circulent alors. Mais à une époque lointaine où l’état et le clergé ne sont pas encore séparés, le monarque ne détient pas forcément le statut le plus élevé. En effet, le pape et son statut quasi divin était encore plus haut. Et si dans le rap français, au-dessus du roi, et ce, quelque soit son identité, c’est le rappeur Akhenaton qui occupait le rôle du pape ?

Il y a presque 30 ans, un groupe de rap marseillais bouleversait le paysage musical français. Avec Ombre est lumière sorti en 1993, IAM amenait, au même titre que Solaar ou NTM, le rap sur les grandes radios publiques hexagonales. IAM est une entité à part entière, avec des rôles bien définis pour chaque membre. Cependant, les 2 rappeurs principaux, Shurik’n et Akhenaton crèvent l’écran et deviennent les têtes d’affiche du groupe phocéen. Très différents et à la fois complémentaires, leurs styles distincts font que les auditeurs peuvent avoir une préférence pour l’un ou l’autre de ces 2 leaders. Un album solo est alors l’élément qui permettrait de savoir ce que vaut chacun d’entre eux individuellement. Et c’est AKH qui est le premier à sauter le pas.

Shurik’n et AKH dans les années 90

Entrer dans la légende

C’est donc en 1995 que le rappeur nommé Akhenaton sort Métèque et Mat. Celui-ci se révèle être un véritable bijou, salué par la critique. Chill prouve qu’il rappe admirablement bien et possède une écriture pointue. Mais surtout qu’il est capable d’élever le propos encore plus haut que ce que les auditeurs de rap ont l’habitude d’entendre. Ce premier opus solo est profondément introspectif, empreint de philosophie et de références quasi-mystiques. Le tout, porté par un flow plutôt lent à la diction impeccable posé sur des prods qui transpirent les influences new-yorkaises de Akhenaton. Ce premier essai en solo, au même titre que son successeur Sol Invictus place Akhenaton en très bonne position dans la candidature du meilleur rappeur du pays.

Evidemment, le gigantesque succès rencontré en 1997 par L’école du micro d’argent tient également un rôle majeur dans sa reconnaissance. Tout en gardant une authenticité certaine et une crédibilité indispensable au microcosme rap de l’époque, il parvient, avec ses comparses, à emmener son courant musical au-delà du public strictement hip hop. Il fait alors son entrée dans la légende du rap francophone. Tout cela en fait un modèle pour la génération de rappeurs qui suivra. Il impose le respect par son charisme, sa carrière ponctuée de classiques et surtout son indéniable talent.

Le professeur/producteur

Cette position de modèle pour les artistes qui suivront, Akhenaton l’endosse autant que son rôle premier de rappeur. La liste des artistes qu’il a influencés et qui se sont inspirés de sa plume est longue. Tout comme le fait qu’il a mis le pied à l’étrier à un grand nombre d’entre eux. On peut évidemment citer la Fonky Family ou les Psy4 de la Rime pour la partie strictement marseillaise. Mais des artistes tels que Chiens de paille ou Veust font aussi partie de cette liste. Via ses différents labels et maisons d’édition, il lance la carrière de tous ces artistes et leur permettra de bénéficier de son aura afin de jouir d’une plus grande exposition médiatique.

Durant une certaine période qui voit le jour au début des années 2010, Akhenaton laisse quelque peu de côté son statut de rappeur au sens premier du terme. Il n’est en effet plus tout à fait en phase avec le tournant que prend le rap tant dans le fond que dans la forme. Du côté du fond, le rap de rue n’est plus aussi politisé et revendicateur que le MC marseillais le pratiquait. Dans la forme, de nouvelles sonorités sont arrivées et ne collent pas à son rap académique catalogué comme « old school« . Mais son influence dans le rap game français et son envie de transmettre demeurent omniprésentes. Durant la dernière décennie, les sorties que ce soit en solo ou en groupe ont beau être moins marquantes, néanmoins elles réussissent à satisfaire une fan base fidèle depuis des années. Ce public se reconnaît toujours dans la proposition musicale du rappeur.

Le retour du roi

En 2014, Philippe Fragione revient en solo avec le bien nommé Je suis en vie, album qui lui permet d’obtenir la Victoire de la musique 2015 du « meilleur album de musique urbaine ». Cette récompense vaut ce qu’elle vaut, elle a au moins le mérite de prouver que le roi n’est pas mort. Ce retour au premier plan continue à se préciser ensuite avec les sorties de bons opus du groupe IAM comme Rêvolution ou Yasuke. On peut considérer qu’après quasiment 30 ans, le Marseillais n’avait plus rien à prouver sur disque. Mais apparemment, Akhenaton a un besoin viscéral d’être un rappeur. Pour citer Ol’Kainry et Dany Dan, c’est un peu « comme si le rap l’avait mis au monde ». Il décide donc de repartir en croisade, bien aidé par le retour en vogue d’un rap aux sonorités plus orthodoxe, comme il aime bien le dire.

Cover d’Astéroïde

Alors, en 2020, Akh sort Astéroïde en collaboration avec le duo de beatmaker marseillais, Just Music Beats. Cet opus de 16 pistes est le meilleur que Sentenza sort depuis bien longtemps. Il amorce le retour du grand rappeur qu’est Akhenaton. Le milieu du rap marseillais constate également le bon état de forme du MC. Jul l’invite donc, ainsi que quelques autres légendes phocéennes, sur son 13 organisé.

Dans son sillage, AKH entraîne tout IAM. En 2021, le groupe sort une série de 4 EP’s formant un album final intitulé Rimes essentielles. Un opus salué par la critique. Puis cette année, il poursuit sa reconquête en solo avec deux projets avec le beatmaker canadien Nicholas Craven, Latin Quarter part 1 & 2. Akhenaton y affiche une forme olympique, après plus de trente ans de carrière. Tranchant, inspiré et toujours au-dessus du lot, il assoit son statut de rappeur hors norme.

Icone du rap français reconnue par tous

Si on devait établir une comparaison entre Akhenaton et un rappeur US, la figure de Nas serait plus que pertinente. Ils partagent la même génération, même qualité d’écriture, même respect pour les bases du rap, une longévité similaire sans jamais décevoir leur public. Et tout comme le rappeur du Queens, Akhenaton se bonifie avec l’âge. En tout cas, il n’essaie pas de faire plus jeune en cédant à la facilité d’un son qui passerait sur les ondes des grandes radios publiques. De toute façon, s’il le faisait, il serait raillé pour tentative de jeunisme.

Au lieu de cela, il continue de proposer une musique qui plait à un public, content qu’il reste authentique tout en demeurant cohérent et performant. Et du coté des artistes, la reconnaissance est là aussi. Il n’y a qu’à se pencher sur ses deux derniers collaborations. On peut citer JeanJass qu’il l’a invité sur son opus de l’année dernière. Pour son dernier album solo, Seth Gueko s’est fait plaisir avec deux feat prestigieux sur le morceau « Morts sous la même étoile ». L’invitation sur son ultime album et le nom du morceau sont évidemment un immense hommage de la part du Barlou à tout ce que représente AKH pour le rap français.

Dinos, véritable bousillé de rap, a lui aussi convié le Marseillais sur son dernier blockbuster. Alors qu’il aurait pu avoir le gratin du rap mainstream sur son album, c’est avec la légende marseillaise qu’il partage le micro sur l’excellent « L’univers ne nous voit pas danser ». Et sa prestation lui donne entièrement raison. AKH est toujours au top.

Assis sur son trône, le membre d’IAM observe les acteurs du rap game francophone s’amuser avec l’héritage qu’il leur a laissé. Et même certains se battre pour un statut de roi qui ne l’a jamais intéressé. Car Akhenaton, le pape du rap français, a pour seul moteur l’amour du rap français. Amen !

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