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Hiver à Paris : les pensées de Dinos

Avec Hiver à Paris, Dinos se lance deux défis de taille : assumer le côté intimiste et froid de sa musique et confirmer son statut. Retour sur le dernier album du rappeur du 93 .

A plusieurs semaines d’intervalles, les deux rappeurs de l’écurie SPKTAQLR, Dosseh et Dinos, ont livré des albums de rap adulte. Le premier, de retour avec Trop tôt pour mourir sortie fin septembre, apparaît sûr de ses forces, fournissant des performances de haut vol, tout en fendant l’armure pour raconter des histoires poignantes et personnelles. Le deuxième, lui, a entamé un nouveau cycle avec son quatrième album. Avec Hiver à Paris, Dinos franchit un cap dans la mise à nu. Il expose davantage ses réflexions sur son évolution, sa réussite, ses doutes. Ce côté personnel très présent dans sa musique, rentre ainsi dans un storytelling construit tout au fil de sa discographie.

Les auditeurs de la première heure se rappellent en 2018 l’attente autour d’Imany. Depuis ce premier jet, Dinos a pondu deux autres albums dont le dernier s’est soldé par un succès commercial, en décrochant son premier platine. Qui dit réussite commerciale, dit nouvelle place au sein du game rap français et nouvelle attente du cercle médiatique. Hiver à Paris arrive dans un moment particulier pour Dinos, celle d’un rappeur qui doit confirmer son statut.

Winter is Coming

Avant l’arrivée du froid polaire, Dinos avait préparé le terrain. Depuis plusieurs années, le rappeur et son équipe créent une sorte de storytelling autour de sa discographie. Ainsi, l’artiste avait déjà disséminé des indices sur cet album notamment par des tweets énigmatiques. Tout au long de ce premier semestre, il a publié trois EP de trois titres chacun. Une manière de faire patienter son public avec plus de musique, tout en perpétuant le teasing.

Cover d’Hiver à Paris, de Dinos

Avec le titre donné à son quatrième opus, Dinos offre à Hiver à Paris, la promesse d’un album mélancolique à l’esthétique froide, l’une des facettes de son identité artistique. La vidéo sortie milieu de l’automne pour annoncer l’album, va dans ce sens et s’adresse directement à ceux qui l’écoutent. Cette proximité avec son public, Dinos l’a construite soigneusement à coup de stratégie marketing. Pour cet album, lui et son équipe avait mis en place un site mettant en vente un t-shirt afin d’avoir des exclus. Cette opération s’inscrit dans une stratégie de communication verticale avec leur public, une certaine tendance dans le rap français.

L’autre coup stratégique autour de l’album concerne le mystère autour de la tracklist. Ainsi, pour les featurings, le Corneuvien et son label ont laissé le soin au public de les découvrir lors de la parution. Une manière de créer encore l’événement. Et le casting remarquable réunit Ninho, SCH, Akhenaton, Laylow sur deux titres, Lous & the Yakuza, Lossapardo. Enfin, Hamza ramène sa flamboyance hédoniste sur « Chrome Hearts », pour ce qui est le premier clip de l’album.

Cette stratégie autour de l’album, se retrouve payante d’un point de vue commercial. En effet, avec plus de 28 000 ventes dans la fameuse première semaine, nul doute que l’album sera certifié disque d’or prochainement.

Deux facettes, un même artiste

« Vous êtes sur le point d’être témoin des pensées d’un homme perdu… Rive droite ». C’est par ces mots que débute l’album. Comme pour annoncer la couleur. Quelques jours avant la parution du disque, Dinos avait expliqué qu’Hiver à Paris serait un disque coupé en deux parties. Chacune compose une facette de l’auteur.

Sur la « Rive droite », on retrouve un Dinos plus incisif avec des morceaux plus rappés. Entre insolence, punchlines bien senties et références au rap français qu’il affectionne (Néochrome, LIM, Le Rat Luciano), l’artiste s’amuse davantage. C’est sur cette partie qu’on retrouve les featurings avec le plus d’impact. Ainsi, SCH s’essaye avec brio sur une prod 2step dans « Baby ». Ninho livre lui une grosse prestation en arrivant à la moitié du morceau « Porte Suicide ». Tandis que Laylow et Dinos témoignent de leur alchimie dans « Pichichi Anderson », une vraie démonstration de force.

Mais dès le morceau « Quatre Saisons », il se fait plus introspectif et le feat avec Akhenaton marque définitivement la rupture vers la deuxième partie. Sur la « Rive gauche », le tempo est ralenti, les parties sont plus chantés et Dinos libère sa version mélancolique. Les réflexions autour de l’amitié et l’amour se font plus amères.

« Peu influençable, j’pense à mon Bercy pendant mon Zénith
J’penserai à mon divorce pendant mes fiançailles »

Dinos – « L’Univers ne nous voit pas danser »

C’est aussi grâce aux textures musicales que l’album tend vers le spleen. Le producteur Twinsmatic est au commande de plusieurs morceaux tout au long de l’album, s’exprime davantage dans la deuxième partie. Il signe notamment la prod de la belle balade « Par Amour » sur lequel il sample Diam’s. Grâce à un panel de producteurs sur l’album, de longue date (Twenty9) et plus dans la hype (Amine Farsi, Flem), Dinos donne à Hiver à Paris une dualité qui complète sa face artistique.

« Mo’ Money, Mo’ Problem »

L’argent est un sujet prépondérant dans le rap. Qu’il soit source de motivation, d’inspiration ou d’égo-trip, les MC rappent pour en avoir et se vantent quand ils amassent. En fan inconditionnel de Jay-Z, le rappeur des 3000 n’échappe pas à cet étalage de signes extérieurs de richesse quand il ne donne pas directement les montants qu’il gagne. Mais il remet aussi en question cette vision ultra capitaliste.

« Mais j’dois arrêter d’parler d’argent dans mes sons
Uh, j’devrais être plus fédérateur
J’ai l’impression d’devenir le cliché du rappeur »

« L’Univers Ne Nous Voit Pas Danser »

Le morceau très réussi avec Akhenaton, qui en a toujours sous la semelle de New Balance, est le parfait exemple du Dinos introspectif. L’album est parsemé de réflexions autour de la pérennité de sa carrière. D’ailleurs, invité le leader d’IAM n’est pas un hasard.

Cette crainte de la fin du succès, Dinos la partage avec sa relation particulière avec les autres. Il se dit « misanthrope ». Parfois il apparaît même cynique, et sur la fin du morceau avec AKH, il répète que les problèmes rencontrées sont plus importants depuis sa notoriété. Adage classique du rappeur à succès ou véritable questionnement, on peut au moins convenir que sa sincérité semble réelle. L’autre réflexion qui traverse le disque concerne son changement de statut social. Les premières paroles dans « Rue de Sèvres » vont dans ce sens.

Comment faire pour continuer à représenter son lieu d’origine tout en ayant quitter cet environnement ? Cette problématique n’est pas nouvelle dans le rap et l’ancien résident des 3000 de La Courneuve n’a pas forcément a réponse. Pour autant, cela montre que Dinos a passé un cap de maturité et présente un rap d’adulte.

En début d’année, sur « SP98 », il s’interrogeait sur sa nécessité à continuer la musique tant il croyait avoir tout dit. Avec Hiver à Paris, Dinos emmitouflé dans une doudoune luxueuse, continue à livrer ses pensées glaciales.

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