Pour cette nouvelle sélection rap français du mois de novembre 2022, place à une nouvelle génération dorée, avec les albums de Ben PLG, So la Lune et Khali.
Ces sept dernières années, les têtes d’affiches du rap français ont toujours un peu déçu une partie de leur public. Excepté PNL et Nekfeu plus en retrait. Ninho a perdu de sa saveur. Kaaris semble s’essoufler. Damso se veut plus léger et moins arrogant. SCH change sa ligne directrice depuis le succès de Bande Organisée. Et Vald avec son dernier album, V, en a déçu plus d’un. Que ce soit une bonne chose ou non pour eux, une partie du public de la première heure ont quitté leurs navires.
Ainsi, une nouvelle génération est apparue, décomplexée par les succès de Laylow ou Alpha Wann. La next gen ose imposer un univers à part entière pour s’emparer des rênes du rap français. En ce mois de novembre 2022, les 3 projets rap français retenus par Intergeneraptions proviennent tous d’artistes catégorisés comme « nouvelle génération ». Nous avons retenu le troisième volume de la série Réalité Rap Musique de Ben PLG, un EP aux mélodies ensorcelées de celui qu’on appelle So la lune. Mais aussi le dernier album de la figure de proue de cette nouvelle génération: Khali, IL ME RESSEMBLE PAS NON PLUS.
Ben PLG – Réalité Rap Musique V3
Bien connu par les fidèles de notre média, Ben PLG a augmenté son audience cette année, en raison notamment de participation malheureuse à la série Netflix, Nouvelle école. Il a su utiliser la rage de cette déception pour se relever et continuer son ascension.
Depuis le début d’année, le Lillois s’est lancé dans la publication de plusieurs EP de 8 titres, pour continuer à se faire connaître et implanter son style. Le troisième volume, paru le 4 novembre, s’annonce comme le plus marquant.
Des productions de grandes qualité
L’une des premières choses qui marquent dans cet EP, c’est la richesse des productions. Elles offrent une atmosphère pesante, lourde grâce des basses et percussions qui font vibrer les tympans. Toujours enrichies d’une ou plusieurs mélodies en sourdine, cela donne un côté touchant. On retrouve des violons et un cri féminin sur l’intro, une flûte de pan sur « Magnifique », un synthé électronique dans « Les voix dans ma tête ».
Les prods et particulièrement leurs pistes de drums rappellent une musique de film où le personnage principale se retrouve dans un grand moment d’héroïsme pour assumer son statut. Pour autant la richesse des instrumentales, laissent suffisamment de place pour que lr rappeur s’exprime. Et cela tombe bien, car Ben PLG est un artiste qui s’est fait connaître pour la richesse de ces textes.
Des textes sincères et puissants
A l’image du Rat Luciano à l’extrêmité Sud, Ben PLG fait de la sincérité son fer de lance. Son écriture n’est pas la plus poétique et riche du rap français, il ne cherche pas la rime pour la rime, mais se différencie par un style brut parfois vulgaire mais qui reste vrai. Toujours ancré dans le contexte de son Nord natale, l’artiste dépeint l’environnement de la misère, la vie d’ouvrier et la précarité qui s’en suive.
Le projet est dans la continuité de sa vision de la musique, très personnelle. Ben PLG rappe son vécu, ce qu’il a voit, entend et ressent. Ainsi, son interprétation diffère selon les émotions qu’il ressent. Dans certains morceaux, sa voix déraille, elle est parfois hargneuse, parfois titubante. Il ne se limite pas à un rap agressif et brut, l’artiste est aussi capable de chantonner avec une couleur mélancolique, tout en gardant des textes marquants et touchants.
Pour le seul et unique featuring du, Ben PLG a convié Soso Maness. Capable du pire comme du meilleur, à l’image du club de foot de sa ville d’ailleurs, il a livré une prestation de grande classe, avec un couplet rappé aux accents nostalgiques nineties mais dansantes.
En route pour la gloire
A la réécoute, on discerne une réelle polyvalence de l’artiste avec Réalité Rap Musique Vol 3. L’accent est évidemment placé sur ses textes, mais la mélodie, les productions grasses et rebondissantes, les différents styles essayés ou même les effets sur sa voix ne sont pas négligés.
Ben PLG a été éliminé de Nouvelle École et c’est sûrement pour le mieux, son art ne correspond pas à celui mis en avant par la série. Netflix a déjà mis un coup de projecteur sur lui, et sa musique fait le reste. On ressent une vraie passion pour la musique et la création. C’est cette passion qui le mènera tout en haut. Il chante pour la gloire, pour le geste, parce que c’est pour cela qu’il vit, parce que la musique l’a sauvé. PLG signifie Pour la gloire, encore quelque temps, et sa musique frappera les oreilles de tout le monde. Pour l’instant, il ne se voit que comme une équipe qui fait un bon début de saison, il faut encore prouver, et aller voler la place du favori.
So La Lune – KENNA
Une voix particulière
So La Lune fait partie des artistes qui ne laissent pas l’auditeur indifférent. Et ce, principalement pour une raison : sa voix. Aiguë, usée presque fissurée, cette dernière est la signature de l’artiste. A chaque morceau, on a l’impression que ses cordes vocales vont se déchirer à force de tirer dessus. Certains sont complètement rebutés par cette caractéristique, d’autres la voient comme une distinction rare dans le rap français.
Ce qui est certain, c’est que So la Lune fait parti intégrante du paysage rap français et a su trouver son public. L’année dernière, on le retrouvait parmi les 11 rappeurs à suivre de Booska-P en 2021. Avec une productivité hors du commun, La Lune a sorti son troisième projet en 2022 après en avoir sorti sept en 2021. KENNA fait parti de notre sélection rap français de novembre.
Encore du So la lune pour l’automne
Quinze petites minutes, seulement cinq morceaux, pourtant KENNA est marquant et complet. C’est une réelle démonstration de la palette artistique de So La Lune.
Le rappeur lyonnais met un point d’honneur aux mélodies et aux émotions transmises. Ainsi, il y a une riche diversité dans le choix des instruments et leur manière de sonner. De même pour sa voix, si les textes sont moins riches et construits, les rimes le permettent d’appuyer la mélodie et d’obtenir un rendu unique et complet. Les accords sont toujours tristes, ce n’est pas pour rien que l’astre nocturne est présent dans son nom.
L’ambiance est bleue nuit, jamais noir car la lune éclaire toujours le ciel. Cela s’illustre sur ce court projet par des accords lofi sur le dernier morceau “Gepetto” ou des notes tristes de piano mariés à sa voix déchirante hurlant sa peine dans “Un peu de moi”.
Certains le voient comme un “enfant de PNL”, les piliers du cloud rap en France. En effet, l’ambiance planante, rappellent celle des deux frères des Tarterêts. Pour autant, sa singularité se démarque par ses textes, l’utilisation du flow DMV et des touches électro dans les morceaux.
Une vraie alchimie
Un seul featuring dans ce court projet, la nouvelle signature du label 92I, Green Montana. Le rappeur belge sur la pente ascendante depuis quelques mois, est invité sur le morceau “Si ca compte”. Et la mayonnaise prend. Le contraste entre les deux artistes est saisissant et leur collaboration en est presque étonnante. Le protégé de Booba rappe avec une voix grave et un flow lent sur une prod enrichie seulement de drums. Même si un discret piano se distingue dans le fond sonore.
De son côté, la Lune, à rangé sa voix aiguë et ne la déchire pas sur cette collaboration. L’ambiance est planante, en haute sphère, ralentie comme si les artistes avaient consommé quelques substances durant la session studio. Les deux timbres de voix se mélangent parfaitement bien et le refrain chanté à deux confirme encore plus l’alchimie. So la lune calme sa voix et la tire vers les graves et à l’inverse. Green Montana lui la pousse légèrement vers les aiguës
Les deux artistes ont trouvé un croisement dans leur deux univers différents. “ Si ça compte” est notre morceau préféré de KENNA.
La pleine lune
Pour conclure sur cet EP, So la Lune, ou Tsuki devient de plus en plus accompli et attendu. Son univers et sa vision se mettent en place. KENNA peut également être une porte d’entrée dans son monde nocturne. Sa voix est pour nous sa plus grande force, même si cette dernière est la cause aujourd’hui de beaucoup de critiques. Toujours cachée derrière les nuages ces temps-ci, dans très peu de temps la lune sera pleine et éclairera la nuit comme il se doit.
Khali – IL ME RESSEMBLE PAS NON PLUS
Titeuf, Donald Duck ou les Chipmunks.. Les détracteurs de Khali ont eu beaucoup d’imagination sur Twitter lors de la sortie d’IL ME RESSEMBLE PAS NON PLUS (IMRPNP), le nouveau projet de l’artiste bordelais. Au même titre que So la lune évoqué un peu plus tôt, Khali possède une voix atypique. Nasillarde, jonglant entre plusieurs fréquences vocales éloignées, le jeune artiste étonne.
Conscient de sa différence, il prend le pari d’en faire sa force. Khali crée tout un univers autour de sa particularité et son anormalité. Si sa voix choque et rebute au début, après quelques écoutes l’oreille s’habitue et distingue la vraie richesse du monde mis en place par l’artiste franco marocain.
L’auteur de Laila, donne un premier signe de vie en ce début de mois de novembre avec un clip cinématographique et touchant, intitulé : Le monde est à toi. Ce dernier met en avant un enfant, qui prend le rôle de Khali durant sa jeunesse. En parallèle, Khali adulte, joué par lui-même discute avec l’enfant qu’il était. Khali parle avec son alter égo du passé, il lui chante sa peine en expliquant que ses rêves d’avoir le monde ne sont que des rêves.
« C’est malheureux, on t’a fait croire que le monde est à oi-t »
Le monde est à toi
La vie le dégoûte, trop de contraintes restreignent les libertés. Khali aurait aimé qu’on ne lui promette pas le monde. Il veut préserver le petit qu’il était. Dans le clip on peut d’ailleurs voir un livre nommé “le monde est à toi” qui est jeté dans le feu.
Des sonorités différentes
L’album sort trois semaines après ce clip. Les sonorités sont, comme souvent quand Khali pose sa voix, tristes, mélancoliques, mais mélodiques. Palmer wild story et Laila l’étaient, et déjà avec un univers et une direction artistique aboutis et assumés. INRPNP l’est peut être encore plus. Son plus long projet (40 minutes) présente une nouvelle facette de l’artiste et, même si ce dernier ne le définit pas comme un album mais mixtape, INRPNP en a tout l’air. Un univers visuel mit en place avec la cover et le titre, des thèmes récurrents, des transitions travaillées ou même des références entre les morceaux.
Déjà ouvert aux mélodies et sonorités étrangères au rap, ce projet confirme ses influences. On retrouve des prods electro voir techno qui concluent certains morceaux, notamment “la flèche”. Des accords de piano issus de la musique classique sur la transition “Jamais comme ils vont/Le monde est à toi » ou encore des instruments aux sonorités féeriques, merveilleuses dans l’interlude “pas de zga ». Quoi qu’il en soit, on retrouve sur tous les morceaux les charlestons (ou hi-hat), assez rapides et surtout incessants. Ils sont pour l’artiste une sorte de zone de confort lui permettant de rapper dans les temps sur tous styles d’instrumentales.
De manière générale, la musique de Khali est riche en instruments. Il y a un gros travail de production et de mixage. Les instrumentales ne cessent d’évoluer en multipliant les sonorités. Cela procure à chaque morceau une saveur unique qui explose quand les oreilles ont accepté la voix atypique du jeune rappeur.
De plus, une seconde saveur explose en bouche peu après, quand les textes sont déchiffrés. C’est la poésie de Khali. Originale et vraie, elle est marquée par une écriture remplie de doutes et de vécu
L’espoir par le désespoir
A première vue, Khali laisse transparaître un réel mal-être, des syndromes dépressifs, une sorte de tristesse infinie et surtout un énorme manque de confiance en lui et son art.
« Mais t’avais pas raison, tout ne sera jamais bon. J’ai tout fait comme il fallait, pourtant j’vais jamais comme ils vont »
Jamais comme ils vont
“Chez nous le psy ça n’existe pas, chez nous, tu pries pour que la tristesse passe. Ici, personne n’aura pitié d’toi, parce que ça s’ra jamais toi le pire des cas”
No psy
“Oh, et puis ces flowers tu peux les jeter au feu”
Le monde est à toi
Souvent moqué dans sa jeunesse et dans son début de carrière pour sa différence, il décide d’en faire sa force. Dorénavant, il s’en moque de sonner trop original, il laisse libre court à sa créativité et assume l’artiste qu’il est. Les paroles sont tristes car Khali l’est. Il chante la misère qu’il a vécu durant sa jeunesse et la contraste avec le début de richesse qu’il vit actuellement : Secours populaire/Vuitton.
“J’ai ouvert le frigo, vu les larmes de oummi(NDLR Maman en arabe). pour me dire que trop, c’est trop”
En vrai
Il s’est sauvé par musique, en effet, en se félicitant de ne pas être tombé dans la vente de drogue, il affirme que la musique est arrivée au bon moment dans sa vie et lui a permit de trouver un sens à sa vie. Ainsi une touche d’espoir est délicatement déposée en sourdine. La passion, la musique semble être la clé du bonheur.
“ la passion, c’est c’qui m’a passé la pommade”
En vrai
Pour conclure, Khali sort une mixtape aux allures d’album qui, une fois de plus, se distingue de ce qui se fait dans le rap français en ce moment. Il est un artiste à part entière, et ce genre de projet promet pour la suite de sa carrière, Khali sera un jour sur les ondes. Sa difference assumée est aujourd’hui sa plus grande force, il ne ressemble à personne et personne ne lui ressemble.
