2022 amorçait un retour d’une scène rap avec des artistes qui kickent et reprennent les fondamentaux du rap. Après ce frémissement, 2023 confirme cette tendance. Les rappeurs de plus de 30 ans semblent enfin décomplexés face à l’omniprésence dans les gros médias de la nouvelle génération et ses mélodies autotunées. Parmi les sorties récentes, Filaments bleus de The Free a retenu notre attention. Chronique.
Avec Filaments bleus, The Free n’en est qu’à son deuxième projet. Pourtant, le rappeur est loin d’être un débutant. Il y a une vingtaine d’années, celui qui se faisait appelé Freez, était membre du groupe la Baraka. En traversant les open-mics au milieu des années 2000, il rencontre Emoaine. Tous les deux, ils forment le groupe Stamina. S’en suivent plusieurs apparitions sur des compilations indépendantes dont celle de DJ Blaiz’, Appelle-moi MC en 2010. Ils sortent aussi 2 albums : Les règles de l’art (2011) et Prison(s) de verre (2013). Malgré la passion évidente, aucune signature en major, ni passage sur la radio « première sur le rap » ne sont à signaler. Tout demeure artisanal et complètement indépendant.
« Mon son passe en dessous des radars d’Laurent Bouneau. Passe la moula et j’fais l’boulot ! »
The Free – « Quarantième rugissants »
Puisque la passion est plus forte que le reste, Landry, de son prénom, fait le choix audacieux de se lancer en solo. Et ceci à un âge que beaucoup qualifieraient d’avancé. En effet, en 2017, alors qu’il a soufflé ses 37 bougies, il sort l’excellent 9 titres Les minutes vides. Son aventure en solo s’accompagne d’un changement de nom de scène, la faute à un autre Freeze – Corleone cette fois-ci – qui a pris une place prépondérante dans le rap français. Pour autant, cette nouvelle sortie reste liée à l’underground. Mais il en faut plus pour le décourager. Quelques années plus tard, de nouveaux singles débarquent annonçant l’arrivée d’un nouvel opus. Il lui fallait juste le temps de se créer ces « connexions azurées » dont le rappeur parle si bien dans ce nouvel album.
L’école du 18ème
C’est donc le 24 Février 2023 que The Free sort Filaments bleus. Cet album de 13 titres est une réelle surprise puisque l’artiste est un quasi-inconnu pour une grande partie du public rap. Et surtout, c’est une véritable réussite. Comme le prouve les morceaux « Phénix » ou « Quarantièmes rugissants » sortis comme apéritif, le rappeur de Marcadet, dans le 18 ème, est un kickeur de haut niveau. Sur des prods de Spezial, il fait étalage de tout son talent et de l’expérience acquise depuis 20 ans. The Free est un fils d’immigré pour qui le rap, c’est avant tout « 1 pour la plume ».
On peut aisément trouver des points communs avec Flynt et Ekoué, deux éminents représentant du rap du nord de la capitale. Dans sa façon de dépeindre son environnement et son quotidien, The Free rappelle les 2 illustres rappeurs. Il allie à merveille le côté presque poétique de Flynt, ainsi que l’aspect froid et désabusé du membre de La Rumeur. Même son timbre de voix grave n’est pas sans rappeler à l’acolyte de Hamé. Le titre « Un été sur la brèche » sorti en 2022 et présent sur l’album est la parfaite illustration de tout cela. Mais ne nous méprenons pas, The Free possède sa propre identité et ne fait pas dans le mimétisme. Le 18ème marque juste au fer-blanc tous les rappeurs qui y grandissent leur donnant une couleur musicale particulière.
Connexions azurées
Le rappeur excelle dans son domaine de découpeurs de prods à l’écriture soignée. Paradoxalement, les grands moments de cet opus ne se trouvent pas forcément dans ses moments de kickage intensif. « Là haut » est un titre poignant dédié à sa mère décédée. Un titre plein de pudeur et qui se situe au-dessus de la mêlée de ce type de morceau, remplis de clichés, dédiés à la maman.
L’autre sommet de l’album est le morceau éponyme. Dans « Filaments bleus », The Free évoque toutes ces connexions, familiales, amicales ou amoureuses qui traversent notre existence. Une façon touchante, presque autobiographique, de raconter une vie jalonnée de rendez-vous manqués et de rencontres marquantes. Les fameux filaments bleus… Et puisque l’on parle de connexions, celles-ci semblent évidentes avec les invités de l’album. On retrouve Souffrance, Ockney, Sheldon et Robdbloc. Des rappeurs qui viennent par leurs performances magnifier le superbe travail de The Free.
Le cœur parle, la passion paie…
20 ans de rap animé par la seule passion sans avoir lâché l’affaire, cela force le respect. Le fait de rester droit dans ses bottes sans céder à la tentation de travestir sa musique afin de passer sur les grandes radios au risque de ne jamais en vivre, c’est également plus que louable. Et que dire du fait de sortir un album aussi qualitatif avec la fougue d’un rookie tout en assumant son âge et en se mettant à nu. Au final, à force de détermination, The Free a sorti, avec Filaments bleus, un des tous meilleurs albums de rap, avec un grand R, de ce début d’année 2023. En découpant les prods animé par sa seule passion et en laissant parler son cœur, le rappeur créera sans doute des filaments bleus dans votre encéphale.