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Rap Français et UK : Je t’aime, moi non plus

Si de nos jours, les connexions entre rap français et UK sont plus évidentes à travers les collaborations, le relationnel entre les deux pays ne date pas réellement d’hier. Tour d’horizon de cette romance à l’eau de rose franco-british.

Le fantasme américain n’a jamais quitté la France. Depuis l’arrivée du Hip Hop sur le territoire hexagonal, la France est rivée systématiquement vers les États-Unis. Un fantasme devenu une obsession. Depuis les années 90, de multiples collaborations entre rappeurs, producteurs, et même ingénieurs du son se sont réalisés. Il est même arrivé que des rappeurs US sortent des disques sous des labels français. Citons l’album Deja Screw du rappeur de Queensbridge, Blaq Poet, publié sur le label 45 Scientific.

Cependant, en ce qui concerne l’autre côté de la Manche, la scène française paraît murée dans un désintérêt presque impoli depuis bien des années. Cohérent d’une certaine manière. Dans sa course effrénée pour rattraper son « retard » sur la scène états-unienne, pourquoi perdre du temps en s’attardant sur le « concurrent » british ? Malgré ce désintérêt général dans les deux sens, certains on fait la démarche. Ces précurseurs ont même fortement participé à l’enrichissement du Hip Hop francophone. Faisons un tour d’horizon de ces liens, semblant si fugaces, mais si impactant entre rap Français et rap UK.

Années 90 : Maturation 

En cette période qui constitue l’émulation graduelle de la scène américaine, les liens France et Royaume-Uni en terme de rap sont inexistants. En effet, les deux pays sont trop occupés à se développer pour réellement rentrer en contact. C’est une période de développement donc, des deux côtés de la manche, qui à leurs manières, élargissent public et identités. Si la France perdure dans une forme de mimétisme du rap américain, la scène UK a déjà une démarche moins tournée vers l’Ouest. Et c’est souvent du côté du rap underground que se trouvent les propositions les plus curieuses. En 1999, sort le premier album de Roots Manuva chez le jeune label Big Dada.

Années 2000 : le rêve britannique

Big Dada est un label rap indépendant anglais crée en 1997. Dans leur catalogue, ils s’épanchent à mettre en avant des propositions novatrices. Le rappeur Roots Manuva popularise le label qui devient vite un symbole de l’underground britannique. Cette renommée dépasse largement l’île pour atteindre les Etats-Unis. Ainsi, toute une partie de la scène américaine expérimentale se tourne vers le label anglais. MF DOOM, Busdriver, Run The Jewels, Bigg Jus de Company Flow sortent des disques sur Big Dada au courant des années 2000. Mais ceux qui nous intéressent ne sont pas américains, mais bien français.

Depuis leur création en 1998, TTC a toujours été considéré comme de véritable nerd du rap. Fanatique de cette scène indépendante américaine, lorsque Big Dada leur propose d’être des pendants européens, cela leur donne des ailes. Leurs trois albums dont Bâtards Sensibles (2004) sont publiés sur le label anglais.

Dans une période d’effervescence en Angleterre avec l’arrivée du Grime, s’ouvrent alors les premiers ponts entre rap français et UK. De La Caution à James Delleck en passant par Psychik Lyrikah, la scène française qualifiée d’ »alternative » s’imprègne de l’état d’esprit et des inspirations britanniques. Ce contexte propice aux collaborations n’est pas compris par le grand public mais qu’importe, la machine était lancée. Klub des Loosers enregistre un feat avec MF DOOM, « Depuis Que J’étais Enfant » . Ce dernier avait déjà publié un disque chez Big Dada sous l’alias King Geedorah. Dans cette période de premiers contacts entre rap français et Uk, impossible de ne pas parler de Grems. Dès ses premiers disques, le rappeur apporte des sonorités inspirées au-delà du Grime et du son anglais de l’époque.

Grems, figure d’un rap français qui s’affranchit des normes

Véritable ovni dans le game de l’époque, cette perception découle du fait que Grems s’affranchit des codes français pour se rapprocher de l’outre-Manche. Ainsi, dans sa musique, on retrouve des influences grime, broken beat, deep-house ou encore bass music. Des inspirations très british qui s’expliquent aussi, car l’artiste a vécu à Londres plusieurs années. En somme, la scène « alternative » française nous proposait une plongée dans un univers aux références multiples, dont clairement des références aux rap et au son anglais.

Lorsque Orelsan débarque en 2009 avec Perdu d’avance, certains y voient une inspiration au rap anglais. Une démarche pas forcément visible pour le large public qui adhère au rappeur caennais. Certes, le son concocté par Skread est plutôt classique, mais les références d’Orelsan changent de l’ordinaire. Cette filiation avec la scène rap « alternative » n’est pas vraiment réelle. Mais il est évident que l’auteur de « Changement » n’aurait pas pu émerger sans le défrichage de ces acteurs.

Années 2010-20 : la dilution du rêve

Après que l’émulation de la scène « alternative » française ait pris fin, Orelsan et Grems restent les seuls à faire perdurer la démarche. Ce dernier s’était d’ailleurs exilé à Londres vers 2008 et ne reviendra pas avant au moins 2011. Cependant, Teki Latex continue sa quête de défricheur du futur. Avec son label Institubes, Teki signe Joke. Le prodige de MTP est plus tourné vers la nouvelle scène américaine que le son anglais. Mais avec son style, il participe sans aucun doute à crédibiliser la démarche de son producteur membre de TTC.

Entre temps, l’ancienne garde continue son petit bonhomme de chemin jusqu’à la discrète consécration de la présence de Dizzee Rascal sur La Fête Est Finie d’Orelsan. Mais c’est surtout une nouvelle figure débarquant au milieu de la décennie, qui remet au goût du jour les influences anglaises. Kekra, visage masqué, continue d’enrichir les rapprochements des scènes.

A cette époque, Kekra commence à populariser, en testant plusieurs styles, notamment le Grime ou le 2 step. Il trouve un écho certain auprès de la critique et une partie du public. Sa démarche novatrice inspire le game. Ainsi, après la déferlante « 9 Milli », on voit apparaître de multiples morceaux avec une prod 2 step. A la fin de cette décennie, c’est un nouveau style qui rapproche rap Fr et UK. Avec l’explosion de la drill UK, les relations avec nos voisins semblent n’avoir jamais été aussi fréquentes et bien accueillies par le public.

Années 2020: un rêve devenu réalité

Amenée sous cet angle, la relation France-Angleterre semble avoir été particulièrement unilatérale. Très fructueuse pour nous, enrichissante à tel point qu’aujourd’hui, on pourrait argumenter qu’une bonne partie de la new wave n’aurait jamais pris cette forme sans la libération des années 2000 et du rapport avec l’électro UK. Pour retrouver cette influence, il faut se tourner vers la scène indé. Des groupes comme La Canaille ou certains membres de L’Animalerie parsèment leurs productions, d’éclats électroniques.

Aujourd’hui, avec le succès de Central Cee en France, l’annonce récente d’un feat entre Knucks et La Fève, les feats avec Headie One multipliant les feats avec les rappeurs francophone, la richesse portée par le producteur Inflo et pléthore d’exemples récents ou futurs, il n’y a qu’à souhaiter que l’enrichissement ne passera que par la curiosité d’autres scènes. La multiplication de cypher international sur de la drill va droit dans ce sens avec des apparitions remarquées et plébiscitées de Gazo ou Kekra.

Cela questionne donc forcément quand le rap français, a l’image dernièrement de Benjamin Epps invitant Styles P sur son premier disque, s’attache fiévreusement à ce qui paraît être un vieux fantasme éculé. Quand on voit que même l’Amérique a un temps envié la force anglaise il n’y a pas à hésiter sur le souhait de voir se propager des ponts musicaux par dessus la manche.

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