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L’Odyssée du rap français: de l’Âge d’or au bitume (3e partie)

Pour la troisième et dernière partie de notre dossier, retour sur la fin de la décennie 90. Celle ci est en effet marquée par l’arrivée d’une nouvelle génération qui initie un tournant pour le rap français. Et ce tant au niveau du son, que des thèmes. Mais en même temps que le genre accentue sa spécifité française, il devient également plus dur avec l’arrivée d’une musique tournée vers la rue tout en se détournant des valeurs initiales du mouvement Hip Hop.

Comme nous l’avons évoqué dans la deuxième partie de notre dossier, la période des années 90 est une période florissante pour le rap français, tant au niveau artistique que commerciale. Grâce aux figures comme IAM, MC Solaar, Suprême NTM ou encore Doc Gynéco, le genre connait une vraie émulation et se popularise. Cependant, il reste encore marginalisé et surtout un milieu fermé. C’est d’ailleurs dans l’underground que bat le cœur du rap français. A cette époque, on le retrouve dans les nombreux collectifs qui pullulent. C’est toute une jeune génération émerge au milieu des années 90. Elle souffle un vent nouveau sur le rap français. Et cela passe par la performance. Ces acteurs arrivent avec des flows innovants, une énergie fougueuse et de nouvelles techniques au micro. 

Du début 90 à début 2000, l’âge d’Or du rap français

L’aventure collective du rap français

Parmi les crews emblématiques de cette époque, Time Bomb figure en haut de la liste. Créer en tant que label en 1995 par DJ Sek, DJ Mars et Ricky le Boss, le projet initial était de sortir une mixtape en fédérant une nouvelle génération de rappeurs franciliens. Dans leur casting figure Oxmo Puccino, Diable Rouge, Pit Baccardi, Ziko, Yoka, Epsi, et les duo Lunatic, X-Men et Jedi. Chez Time Bomb, le maître-mot est la performance. Et cela passe par des nouvelles techniques d’écriture, où l’égotrip est mis en avant. Tant au niveau de l’utilisation des multi-syllabique et autres assonances, la forme devient un aspect central de leur rap avec un côté esthétique.

Après avoir publié la mixtape Time Bomb Vol. 1 en 95, le collectif inonde les ondes en multipliant les freestyles mythiques notamment sur la radio Générations. Mais l’aventure tourne court, et dès 97, plusieurs MC’s quittent le collectif. Même si le label continue de fonctionner avec de nouveaux éléments et Oxmo Puccino qui est resté, ce n’est plus la même chose. Pour autant, plus de 20 ans après les débuts, le collectif reste une référence du rap francophone et a créé une école Time Bomb. D’ailleurs, de nombreux rappeurs actuels ont cette école pour référence.

Parmi les collectifs qui ont marqués les esprits, il y a aussi le Beat de Boul. Fonder par les Sages Poètes de la rue, ce collectif regroupe tous les talents de la bouillonnante scène de Boulogne Billancourt, plus particulièrement de leur quartier du Pont de Sèvres. La compilation classique Dans la sono, sorti en 1997, révèle toute une nouvelle génération de rappeurs d’exception.

Moins influent mais tout aussi important, le collectif parisien ATK marque aussi les esprits. Heptagone, leur album de référence paru en 98, reste dans la postérité de par sa qualité. Dans l’esprit de groupe, le collectif se rapproche de celle du Wu-Tang Clan. En effet, on décèle chez cette équipe de 7 rappeurs, un profond amour du Hip Hop, mélangé à une envie d’innover et d’apporter un vent de fraîcheur, voir de folie dans le rap hexagonal.

Si Paris est une région essentiel pour le rap en France , le Sud n’est pas à la traîne. Grâce à IAM, Marseille est devenu une place forte. C’est d’ailleurs dans leur sillon que suive la nouvelle garde marseillaise. En 95, Akhenaton créé la surprise en invitant sur son premier album solo, un groupe inconnu. La Fonky Family est présent sur le single « Bad boys de Marseille » qui devient un énorme succès.

Après avoir pris un peu leur distance avec les aînés, le posse composé de Sat l’Artificier, Le Rat Luciano, Don Choa et Menzo au micro, et DJ Djel et Pone sur la partie musique sortent leur premier album Si Dieu veut… en 1998. Et là encore, le succès commercial et critique est au rendez-vous. La FF à en effet cette particularité de servir un rap authentique mêlant le fond et la forme. Des prods modernes avec des discours qui parlent à tous. Avec leur énergie positive, la FF ramène une touche de modernité dans cette fin de décennie glorieuse pour le rap français.

Radicalité et contestation

Avec leur esprit juvénile, cette nouvelle génération change aussi la mentalité du rap français. En effet, le côté contestataire et subversif s’affirme davantage. On le retrouve par exemple dans la manière de s’exprimer. La FF se faisait appeler « la section Nique tout » par exemple. Ils l’expriment aussi en combattant le racisme et l’extrême droite dans leurs textes.

Le côté « Peace, love, unity, Have and fun » des débuts est de moins en moins présent. Dans son odyssée, le rap s’affirme totalement en français, en revendiquant ce côté « art de rue » – comme le nom du deuxième album de la FF- et en devenant véritablement la musique des quartiers populaires. Le collectif Mafia K’1 Fry a plus que jamais incarné cette réalité de la banlieue française.

Réunie autour de la triangulaire, Orly- Choisy- Vitry, la Mafia k’1 Fry émerge à cette période, grâce à son groupe étendard, Idéal J. Surtout grâce au disque, Le Combat Continu, ils mettent le ghetto français en avant. Et le décrivent sans concession. Kery James, le MC principal du groupe, parle de l’abandon des quartiers populaires par les politiques, des violences policières ainsi que la montée de l’extrême droite. Il est amusant d’ailleurs d’observer que la première apparition de Kery se fait en 1991, sur le premier album de MC Solaar et que celui-ci avait déjà un discours politique. Servie par l’ambiance d’urgence créée par DJ Mehdi, Idéal J incarne cette radicalité que prend le rap français. Le rap engagé est né et Kery James devient une icône du style.

La Mafia k’1 Fry, collectif historique du rap français, réunie en entier (ou presque)

Plumes du bitume

L’évolution du rap français se retrouve pleinement chez la Mafia K’1 Fry, car elle incarne les deux versants: conscience politique et parler de la rue. S’il y a bien un groupe au sein de la Mafia K’1 Fry qui transpire la rue, c’est le groupe Intouchable. Avec Les Points Sur Les I sorti en 1999, le trio propose un album brut résolument ghetto. Leur rap ressemble aux bâtiments des grands ensemble du triangle Orly- Choisy- Vitry. Il est en effet cru, presque sale mais pleins d’énergie et chargé des histoires des voyous du département. L’histoire du groupe est elle aussi chargée de ses histoires. Intouchable, ce n’est pas le rap qui se tourne vers la rue. Mais la rue qui se tourne vers le rap. Cru et authentique.

Mais si il y a bien un album qui marque le passage d’un rap soit conscient et engagé, soit festif vers un rap plus sombre et orienté « rue », c’est bien Mauvais œil. Le premier et unique album de Lunatic est un disque sombre fait pour la rue par la rue. A l’instar de sa cover, l’opus ne dégage que peu de lumière. Il marque un vrai tournant dans le paysage du rap francophone. Il aura influencé toute la décennie 2000. Le rap dit de rue y connaîtra alors son apogée. Il serait évidement trop long de vous citer tous les albums qui sont les enfants de Mauvais œil tant cette orientation street était omniprésente durant des années. 

Un genre que Booba, moitié de Lunatic, contribue a imposer. Son charisme et son immense ambition était déjà palpable au sein du duo qu’il formait avec Ali. On pouvait presque pressentir qu’il deviendrait la superstar du Hip Hop hexagonale. Avec son style si particulier de mauvais garçon du rap français, B2O va donner la couleur du rap français pour les 10 années qui ont suivi son premier opus solo, Temps mort. Grâce à son style d’écriture brut, sale et parsemé d’images hardcore, le surnommé Bitume avec une plume devient la figure du rap de rue. Si beaucoup de rappeurs s’en sont inspirés, on a aussi vu beaucoup de mauvaises copie de Mauvais œil ou de Temps mort.

L’explosion de ce rap de rue, l’arrivée d’un individualisme certain au profit de l’esprit de groupe qui régnait dans les années 90 et la recherche constante d’une street crédibilité font perdre au rap une partie de son public de base. Si en plus, on y ajoute la crise du disque, cette époque de rap bitume se révèle cruelle pour bon nombre de talents. Des rappeurs comme Nessbeal, Salif ou le groupe Tandem ne rencontrent pas le succès commercial espéré. Ils laissent par conséquent seules les têtes d’affiche Diams, La Fouine, Rohff et Booba se partager les miettes du gâteau.

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