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Limsa d’Aulnay, discussion pleine de logique

Le 18 février, Limsa d’Aulnay publiait le troisième volet de Logique, sa série d’EP entamé en 2020. Une manière pour lui de clore un chapitre qui l’a remis sur le devant de la scène rap. Rencontre avec l’auteur pour discuter de la construction de sa trilogie, l’importance de la maturité dans sa musique et son amour du rap.

A l’heure où l’industrie musicale impose un rythme de sortie soutenu pour les artistes, certains préfèrent prendre leur temps pour confectionner leur art. Limsa d’Aulnay a maturé plus d’un an pour sortir Logique pt.3, la série d’EP qui l’a remis en selle. Avec son écriture très réaliste, le rappeur n’hésite pas à rentrer dans un caractère plus intimiste, tout en gardant son humour dont il a le secret. Cet EP se distingue des deux autres par une atmosphère musicale plus mélodique et le ton plus apaisé de son auteur.

La rencontre s’est faite dans son domicile bruxellois où il a installé ses valises depuis quelques mois. Sous une agréable fumée de joint matinal, Limsa s’est livré sur la création de ce troisième volet et de sa série Logique, ainsi que sur son amour du rap et de la musique en général, derrière une bande-son funk choisie par ses soins

IntergénéRaptions : Salut Limsa, le 18 février sortait le dernier volet de ta trilogie Logique. J’ai l’impression que les retours sont plus forts que les deux précédents. Quels retours tu en fais toi ?

Limsa : Pour l’instant, j’arrive pas à quantifier. Puis, 3 semaines pour juger un projet, c’est aussi long que c’est court. J’essaye d’apprendre des frérots autour de moi comme Georgio ou Lomepal, plus jeunes que moi, mais qui ont une carrière un peu plus longue. Il y a ce rapport un peu ambivalent avec eux, humainement et musicalement. J’ai beaucoup observé leur parcours, leurs sorties.

La première semaine, c’est un très mauvais réflexe à avoir, d’autant plus quand on est un artiste comme moi. Je vais pas me comparer à la première semaine de mecs comme SCH ou un Black M par exemple. C’est des élément de comparaison qui n’ont aucun sens. Et je ne vais pas non plus me comparer à des artistes de mon échelle, car pour ce projet, il n’y a pas de physique. Je suis plus dans une stratégie d’essayer que mes projets tiennent dans le temps, sachant que je ne suis pas le plus rapide pour en sortir des nouveaux. Mais c’est sûr que je suis grave content des retours! Et j’ai l’impression que ça continue de monter. « La vie augmente » comme dirait l’autre. [Rires]

Ignr : C’est vrai qu’avec les Logique, on a cette sensation que tu veux marquer le coup et pas forcément sortir plusieurs projets à la suite…

L: Sur les Logique, oui. Mais je ne dis pas que je ferais uniquement des projets comme celui-ci, avec une ambition artistique. Après, cette vision, c’est pas un truc de feignant, dans le sens où je fais peu de morceaux. Donc ils doivent être impactants pour rester dans le temps. C’est plutôt l’inverse en vérité. Comme je fais des morceaux où je livre énormément, je prends du temps à les écrire. C’est différent lorsque je dois faire des featuring ou qu’on m’invite en studio. Il y a pas longtemps, j’ai posé pour le dernier projet de DJ Weedim, Boulangerie française. J’ai écrit mon couplet sur place et je suis rentré chez moi.

Ignr : Tu parlais du fait de prendre ton temps pour sortir ta musique. Entre le 2e volet et le 3e, il y a l’équivalent d’une année qui s’est écoulé. Est-ce que pour autant tu les as fait au même moment ou tu as besoin de temps pour maturer ta musique  ?

L: Le 1 et le 2 ont été fait à peu près à la même période. Quand Logique pt. 1 sort en juillet 2020, j’ai déjà les morceaux « ASB », le feat avec Isha, « Seul two ». Et pareil quand sort le volume 2, j’ai déjà quelques sons comme « Footballeur », « Paradis Vide », le morceau fait à Radio Nova, « Black Room », et d’autres sons. Le projet était fini mais en l’écoutant, je me suis dit que ça marchait pas. En tant que projet, je me dis que l’équilibre n’était pas bon. Y’avait des supers morceaux dont je suis fier. J’en ai donné à des compilations, j’ai réutilisé des trucs pour d’autres morceaux. Mais des bons morceaux, ça fait pas un bon projet. Surtout qu’en donnant le nom Logique à mes gé-pro, c’est devenu presque une marque, avec une esthétique dont je ne voulais pas en sortir.

Par exemple, l’un des problèmes sur la première version de Logique pt. 3, c’est que ça manquait de rap. Par rapport à la version qui est sorti, c’était un projet bien plus chantant, alors même que la version finale est plus mélodique que les deux premiers Logique.

« J’me sens Fou ce soir » est un morceau de ré-ajustage, comme « Ça m’arrange » (sur Logique pt. 2). Sinon je trouvais que l’équilibre penchait trop sur l’intimiste. J’avais besoin de mettre un peu de second degré dans tout ça. Il y avait aussi un morceau avec Lesram, mais ça collait pas au niveau du timing et de l’esthétique. C’était un boom-bap classique année 90. Donc de retirer ce morceau, ça m’a obligé à refaire des sons rappé.

Cette recherche de l’équilibre m’a pris du temps. Beaucoup plus d’ailleurs que les deux autres EPs. J’ai aussi vu ça comme un entraînement pour un futur album. Logique pt. 3, je l’ai construit en essayant de mettre un fil rouge, de mettre des thèmes.

Ignr: Concernant la manière dont tu as construit la trilogie Logique, il y a aussi le fait que le format EP soit revenu à la mode. On l’a vu avec des projets marquants comme LVA d’Isha. Est-ce que c’est ce type de projet qui t’ont inspiré à faire le tien dans ce format de suite ?

L : Le format EP, très court n’est pas un truc auquel j’ai pensé auparavant. Il s’est fait par une cascade de coïncidence malheureuse. A l’époque, fin 2019, Waxx, connu comme Youtubeur , mais c’est surtout un super guitariste, me contacte. Il a envie de bosser avec oim, car il aime bien ce que je fais et il veux produire un album. En fait, on lui a fait une proposition d’être à la tête d’un méga label avec Universal, Webedia est dans le deal, où il y aurait une branche pour produire des albums de youtubeurs et une branche plus qualité, sans exigence de vente, avec des artistes bien vu du public et des médias.

Si tu veux, c’est un peu comme de la bonne conscience, vu que le label va faire des albums pour des Youtubeurs et que Waxx c’est pas du tout ce qu’il aime faire, ils voulaient lui donner un jouet avec cette branche quali, avec moi comme première signature. Donc ça parle d’une signature en artiste chez Universal. Sauf qu’avec le Covid en 2020, y’a plus le budget pour produire cette espèce de label fantaisiste et je me retrouve sans rien…

Ignr : Mais vous avez déjà bossé sur des morceaux avant l’arrêt du label ?

L : Oui bien sûr. Par exemple sur « le petit Limsa », c’est lui qui fait la guitare. Après la nouvelle, j’passe au Dojo, de la 75e Session, voir les Sheldon et les autres pour annoncer la nouvelle. J’étais en mode : « bon les gars, pour moi c’est mort, faut savoir dire stop, c’est le destin ». A l’époque, je travaillais à côté. Je faisais une formation pour être médiateur, pour moi, c’était la fin du match de ma carrière rap.

Kadhaf, l’un des fondateurs de la 75e Session, me pousse et me propose l’idée de couper le projet en deux. Car à la base Logique 1 et 2 c’est un seul bloc. Je partais d’un projet avec Universal à un truc fait avec des clopinette. J’étais pas très chaud. Mais eux, m’ont poussé. Ils me proposent de mixer l’EP, gratuit, en faisant appel à Shien, ancien stagiaire du Dojo, qui est devenu un ami. C’était la période où la 75e Session allait ouvrir un nouveau studio au Dojo. Donc Shien me dit « ça ferait bien sur mon CV d’ingénieur du son d’avoir mixer Logique pt. 1, ça me ferait plaisir! ».

Du coup, en 3 semaines, un mois, Logique pt. 1 était prêt à sortir. Et il sort, deux mois après que le deal avec Universal tombe à l’eau. Comme quoi, j’y croyais pas mais ils ont le nez creux ces gros cons [Rires].

Ignr : L’EP démarre par cette phrase « Si tu m’enlèves le rap, qu’est-c’tu veux qu’j’bricole ?». Durant tout l’écoute, tu distilles plusieurs phases sur ta relation au rap, qui ressemble à de l’amour-haine. Quelle place occupe vraiment le rap pour toi ?

L : Je crois pas que je déteste le rap en fait. Depuis ti-peu, j’adore ça. J’suis quelqu’un de relativement feignant mais je me surprends avec l’âge. Je me connais mieux. Quand j’aime un truc, je veux tout savoir, tout chercher, ça me gratte de curiosité. Et avec le rap, j’ai toujours eu ce truc obsessionnel. Par contre, j’ai jamais pensais en vivre, que ça puisse m’épanouir et surtout d’avoir le respect de mes pairs, juste d’être un rappeur correct.

Ce serait fou de détester le rap, à part les à côté, le milieu… Mais c’est comme partout, on apprécie rarement ses collègues. Comme dirait l’autre « le rap a changé nos vies, il mérite sa place aux Beaux-Arts ». Sans ça, je sais pas ce que je ferais ma gueule!

Ignr : Au delà d’en écouter, est-ce que tu écris souvent ?

L : En fait, j’écris tout le temps, car mes phases m’arrivent comme ça. Par exemple, j’suis avec toi là, mais je peux avoir une idée, je m’excuse et je’écris sur mon téléphone. Bien sûr, je peux allumer mes machines et écrire un texte, mais c’est pour le sport. Quand je le fais comme ça, j’ai l’impression d’être un rappeurs automatique, qui sait bien rimer mais c’est pas intéressant. Alors que lorsque je capte des trucs de la vie ou mes propres réflexions, il y a quelque chose de plus pertinent.

Quand tu trouve des rimes et tu essayes articuler des choses à dire autour, ça sera toujours moins réel que dire des choses et après trouver des rimes. Et avec toute la prétention que ça comporte, je crois que je suis capable de trouver des choses et d’arriver à le dire de façon à ce que ça soit rapologiquement bien.

Dans le rap français, tu as beaucoup d’excellents rappeurs, très forts, qui se regardent en ce disant « qu’est-ce que je vais raconter ». Du coup, ils sont obligé de broder un personnage, en s’inventant un vécu de rue ou une tristesse, sinon y’a rien à dire. Juste bien rapper et être le meilleur, j’ai essayé à une période. Mais j’ai vu que la marche était trop haute [Rire]. A mon âge, faire du rap de démonstration ne m’intéresse pas.

Ignr : C’est vrai que dans ton écriture, il y a un côté très « réalité rap »…

L: J’essaye comme Infamous Mobb, j’adore ce groupe, mec.

Ignr : Dans ta manière de dépeindre ta réalité, tu distilles plusieurs phases sur les mentalité dans lesquelles tu as grandi. Comme la phase sur le psy dans « Faux Départ ». Est-ce le fait de le rapper, c’est une manière d’avoir du recul sur tout ça ?

L : J’essaye d’avoir du recul sur tout. Je pense que c’est le meilleur moyen de progresser en ayant les yeux bien ouvert sur ton environnement et sur la manière dont tu veux évoluer. Ça permet d’être juste aussi. On dit souvent qu’on est de meilleur conseil pour ses amis que pour soi car on a le recul nécessaire, et j’ai envie d’être mon propre ami.

Ignr : Sur ce troisième EP, tu en as déjà parlé mais il y a un aspect un peu plus mélodique. Tu t’essayes plus au chant. Comment tu as travaillé ça ?

L: C’est quelque chose de naturel car je déteste tourner en rond, sinon j’ai l’impression d’être vite chiant. Refaire des morceaux comme « 4 décembre » ou « Starting Block », même si les gens adoreraient que je fasse que ça mais en tant qu’artiste, ça m’intéresse pas. Et j’ai l’impression que les artistes perdent de leur superbe à partir du moment où ils savent ce que le public attendent d’eux et agissent en fonction.

Quand j’ai sorti Logique 1 et 2, les seuls retours que j’avais eu, c’est sur mes freestyles donc je ne savais absolument pas comment les gens allaient recevoir mes morceaux. Sachant que je considère que mes précédents projets comme obsolètes. Fonky Flav, le manager de Georgio m’avait conseillé de sortir mes morceaux sans appréhension. Car même si ça marche pas et que les gens n’aiment pas, ça me fera au moins un retour. Donc j’ai travaillé mes morceaux comme ça. Et j’ai l’impression que ça contribue au fait que les gens apprécient. Je n’ai pas de recette, je fais ce que je veux. Si tu me retires le plaisir de la musique, ça devient un taf et j’aime pas le taf.

Ignr : On sent la chanson française dans tes influences sur le dernier EP, est-ce que c’est de la musique que tu écoutais petit ou que tu as découvert plus tard ?

L : Non c’est de la musique que j’écoutais petit. Après, y’a pleins de trucs dans le processus comme le fait de se sentir prêt à le faire. J’pense que j’interprète mieux mes chansons que y’a 3-4 ans. j’ai progressé et je pense que j’suis plus à l’aise avec moins même. Ça me permet de tenter des que-tru. A 20 ans, j’aurai peut-être eu plus honte de faire un refrain chanté mais on grandi.

C’est bizarre tu vois, j’ai l’impression que y’a tout un tas d’auditeurs qui déteste la musique, j’trouve ça fou. Si tu fais exactement le même morceau mais avec une note au dessus, ils vont te dire que tu chante et que c’est guez, mais si tu fais une note plus basse, c’est formidable. Ces gens qui sont dans une posture hip hop, en viennent à aimer des mecs qui rappent mal, j’trouve ça fou. Mais j’fais pas de la musique pour eux, Dieu m’en préserve. J’aime le rap, j’aime la musique, c’est fou de différencier les deux.

Ignr : Dans une précédente interview, tu parlais de la question de la représentativité dans le rap, tu disais que c’était un peu prétention de vouloir représenter sa ville. Pourtant, dans ton blaze, y’a le nom de ta ville, tu en parles beaucoup d’ASB.

L: Comme je parle énormément moi, j’suis obligé de parler de l’environnement où j’ai évolué. Même si, j’ai maintenant 35 ans, je ne suis plus en bas de mon bâtiment, à essayer de dépouiller des gens. Je resterais toujours un mec d’Aulnay, que je le veule ou non, ça régi en parti la personne que je suis. Pour autant, je me sens en rien représentant de ma ville, c’est aux gens de choisir comme j’ai dit dans Alohanews.

Ignr : Tu parles beaucoup du premier album. Est-ce que tu as commencé à travailler dessus ?

L : J’y réfléchis ouais. J’viens sortir Logique pt. 3, j’ai écris des trucs pour le projet avec Isha [un album commun entre Isha et Limsa a été annoncé sur les réseaux sociaux], je sens que j’ai plus grand chose à raconter, va falloir que j’expérimente cette vie, pour trouver de nouvelles choses à dire.

Ignr : C’est essentiel pour toi de prendre du temps pour faire de la musique ?

L: Vu comme je la fais oui. Après si Limsa d’Aulnay ça s’arrête et que je fais autre chose, j’suis quasiment sûr que je raconterais plus ma vie et je ferais pas de la musique comme maintenant en m’investissant de manière émotionnel et intellectuel. Je ferais des trucs plus léger et cool. Mais, c’est l’essence de ma musique actuellement, de vivre des trucs pour les raconter.

J’ai rien contre le rap fiction, mais les gens qui se positionnent comme rappeur authentique ou sincère et qui romancent leur texte, c’est une forme de malhonnêteté. SCH, on sait très bien qu’il a pas de rainté à Naples, mais dans ses projets, il développe une esthétique qui fait qu’il peut dire qu’il a des rainté à Naples, c’est trop stylé et c’est honnête.

I : En 2022, ça fait un peu plus de 10 ans que tu rappes. Quel regard tu portes sur l’évolution de ton rap ?

L : J’suis content, car quand j’écoute mes anciens sons, j’pars de loin [Rires]. J’profite de ouf de ce qui me passe en ce moment, je sais que ça peut s’arrêter à tout moment.

I : Comme tu le dis dans le projet, tu penses vraiment qu’après ton premier album, tu arrêteras le rap ?

L : J’pense que j’aurai tout dit, ça sera la fin du match. Puis, comme on l’a dit avant, j’aurai trop conscience de ce que les gens attendent de moi, et ça, c’est le début d’une fin.

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